Prix gonflés. Poursuites en cas d'annulation d'appel d'offres. Entreprises mal qualifiées qui décrochent des contrats. Firmes de génie-conseil qui semblent favoriser des entreprises. Des maires ont exposé à La Presse plusieurs maillons faibles dans l'attribution des contrats municipaux.

La Ville de Montréal-Est se questionne sérieusement sur le résultat d'un appel d'offres lancé en 2009 pour refaire une rue sur son territoire, l'avenue Durocher. À l'ouverture des soumissions, une mauvaise surprise attendait la municipalité de 4000 habitants dans l'est de l'île: les quatre offres envoyées étaient deux fois plus élevées que les prévisions. Les prix variaient de 1,9 million à 2,1 millions, alors que l'évaluation municipale se chiffrait plutôt à 1 million.

La municipalité a rejeté le résultat de l'appel d'offres pour reprendre le processus, invoquant les prix trop élevés. Cinq mois plus tard, le portrait avait considérablement changé. Onze entreprises ont déposé une offre et les prix étaient nettement moins élevés. La plus basse, à 1 million, a été faite par Infrabec, qui a décroché le contrat. À 1,8 million, même la proposition la plus élevée de ce deuxième appel d'offres était moins chère que la plus basse du premier concours. Seulement deux des quatre entreprises ayant répondu au premier appel d'offres ont de nouveau envoyé une soumission: Jeskar et CTI, qui ont baissé leur prix de près d'un demi-million.

Pas au service de la municipalité

Annuler un appel d'offres peut toutefois coûter cher, comme l'a appris à ses dépens la mairesse de Contrecoeur, Suzanne Dansereau. Pour l'agrandissement de son usine de filtration des eaux, la municipalité de la Rive-Sud avait retenu les services d'une firme d'ingénierie pour piloter le dossier. Celle-ci a proposé une solution technologique qu'une seule entreprise pouvait fournir, relate la mairesse.

Peu après l'appel d'offres, un citoyen a toutefois informé la municipalité de 6100 habitants qu'une autre technologie, moins coûteuse, existait. Après vérifications, l'administration municipale a décidé d'annuler le résultat de son premier appel d'offres. «C'était tellement évident, les économies qu'on faisait, que ç'aurait été malhonnête de ma part de ne pas le faire», dit aujourd'hui Mme Dansereau.

Estimant avoir été injustement écarté, le premier entrepreneur a toutefois poursuivi la municipalité. «J'ai économisé quelques millions, mais ça m'a coûté 300 000$ parce que je me suis fait poursuivre», déplore l'élue.

Elle garde un goût amer du travail réalisé par la firme de génie-conseil retenue pour mener ce projet. «À un moment, j'ai dit à la firme que je n'avais pas l'impression qu'elle travaillait pour moi, mais pour l'entreprise [qui a obtenu le premier contrat].»

À Brossard, le maire Paul Leduc a également goûté aux risques que représente l'annulation d'un appel d'offres. Une entreprise de collecte des ordures ménagères a remporté un important contrat, mais on a par la suite découvert des omissions dans ses déclarations. «Ce n'était pas une question de mafia, c'est une question de données dans les soumissions, indique le maire, refusant d'entrer dans les détails. Un renseignement qu'ils nous avaient donné n'était pas exact.»

Armée de deux avis juridiques favorables, la municipalité a annulé l'appel d'offres et en a publié un second, «avec quelques changements». Le premier vainqueur n'a pas remporté le deuxième contrat et a poursuivi Brossard. «C'est ce que ça implique quand on refuse le soumissionnaire le plus bas. Dans le système légal actuel, on ne peut pas vraiment négocier, seulement quand il n'y a qu'un seul soumissionnaire.»

Le maire de Vaudreuil-Dorion, Guy Pilon, regrette quant à lui que les règles d'appel d'offres empêchent d'écarter certains entrepreneurs, même quand les municipalités ont eu plusieurs problèmes avec l'un d'entre eux. À trois reprises, une entreprise a décroché des contrats pour refaire des rues de la municipalité de 31 500 habitants sans avoir le bon matériel ni le personnel qualifié.

Les trois routes ont même dû être refaites par d'autres entreprises. «Un hiver, il a tellement tardé qu'il n'a pas eu le temps de faire l'asphalte. On a roulé sur le gravier tout l'hiver. Mais même si on savait qu'il était pourri, on n'avait pas le choix de le prendre, c'était le plus bas soumissionnaire», déplore M. Pilon.