Le gouvernement Charest dit utiliser sa «créativité» pour trouver le bon modèle de commission d'enquête. La Loi québécoise sur les commissions d'enquête lui laisse en effet beaucoup de latitude pour déterminer «la durée et l'étendue du mandat d'une commission», explique Me Simon Ruel, qui a été procureur aux commissions d'enquête Gomery, Cornwall et Bastarache.

Trois principes guident la réflexion du gouvernement: protéger les victimes, protéger la preuve des enquêtes policières et ne pas empêcher de futurs procès. Voici les options qui s'offrent à lui.

Commissaire du gouvernement ou des élus?

Pour enquêter sur le viaduc de la Concorde et la nomination des juges, le gouvernement Charest avait lui-même choisi un commissaire - respectivement Pierre Marc Johnson et Michel Bastarache. Même chose au fédéral avec le juge John H. Gomery pour faire la lumière sur le programme de commandites. Mais le patron de l'Unité anticollusion, Jacques Duchesneau, suggère que ce soit l'Assemblée nationale, et non le gouvernement, qui choisisse le commissaire. Le PQ est d'accord. Lors de la commission sur la nomination des juges, les péquistes souhaitaient que le vérificateur général propose un commissaire. Les élus voteraient ensuite sur ce choix. Le commissaire serait ainsi «au-dessus de tout soupçon», croit le PQ.

Qui définit le mandat?

Lorsqu'il est soupçonné de vouloir protéger ses intérêts, le gouvernement peut ne pas choisir lui-même le commissaire. Et il peut ne pas définir le mandat de sa commission, rapporte Roderick A. Macdonald, titulaire de la chaire F.R. Scott en droit constitutionnel et droit public de l'Université McGill et président-fondateur de la Commission du droit du Canada.

«Ce fut le cas avec la commission d'enquête sur les autochtones, déclenchée après la crise d'Oka à l'été 1990», souligne-t-il. Le gouvernement Mulroney avait demandé à l'ancien juge en chef de la Cour suprême, Brian Dickson, de mener des consultations puis de définir le mandat.

En public ou à huis clos?

La loi ne prévoit aucun critère pour justifier la tenue d'une commission d'enquête à huis clos. C'est plus une question de légitimité que de légalité, résume Ed Ratushny, professeur émérite à l'Université d'Ottawa et auteur de The Conduct of Public Inquiries: Law, Policy, and Practice. «Légalement, un gouvernement peut décréter que certains sujets se dérouleront à huis clos. Mais il doit convaincre l'opinion publique, car le principe de base, c'est qu'une commission d'enquête soit publique.»

Le professeur Macdonald indique de son côté que la sécurité nationale est le motif le plus souvent retenu. «Ce fut par exemple le cas de la récente commission Iacobucci (sur trois citoyens maltraités en Égypte et en Syrie», ajoute Me Ruel. Le même motif a été invoqué pour les commissions qui se sont penchées sur le cas de Maher Arar ou sur l'attentat contre le vol 182 d'Air India.

Comme exemple d'enquête à huis clos, on cite parfois celle du juge Moisan, lancée à la demande du Directeur général des élections du Québec (DGEQ). Son rapport, rendu public en 2006, traitait des contributions illégales au PQ et au PLQ. Or, si elle s'est déroulée à huis clos, c'est parce que le DGEQ n'a pas le pouvoir de décréter une commission d'enquête publique.

S'en remettre au cas par cas

Charles-Maxime Panaccio, vice-doyen aux études à la faculté de droit de l'Université Ottawa, ne comprend pas pourquoi le gouvernement Charest craint autant pour la preuve. «À ma connaissance, c'est la première fois qu'on suggère qu'une commission d'enquête ne pourrait pas opérer en parallèle avec des enquêtes criminelles», soutient-il.

Le gouvernement veut entre autres éviter qu'une personne révèle une nouvelle preuve sur elle-même. Cette preuve deviendrait alors inadmissible dans un futur procès.

Pour empêcher cela, on pourrait ajouter une précision au mandat de la commission. Il stipulerait que le commissaire ne doit pas dévoiler la preuve quand cela risque d'interférer avec un procès.

On pourrait aussi laisser le commissaire trancher au cas par cas, sans en faire mention dans le mandat. Un commissaire peut déjà demander temporairement un huis clos ou une ordonnance de non-publication pour certains témoignages. C'est ce qui est arrivé lors de la commission Gomery, pour ne pas interférer avec les procès de Jean Brault et de Charles Guité.

Des demi-mesures existent aussi, ajoute M. Panaccio. «On peut divulguer seulement un résumé de la preuve. Il est rare qu'on doive la garder complètement secrète.»

Le professeur Ratushny tient à préciser que les commissions d'enquêtes publiques, comme Gomery, ne contiennent pas à proprement parler de premier volet à huis clos. «Il s'agit plutôt d'une phase préparatoire pour recueillir et amasser la preuve», indique-t-il. Le commissaire n'y assiste pas et les témoins ne sont pas obligés de collaborer. Cela permet néanmoins de filtrer les témoignages non fondés qui pourraient nuire à des réputations et à préparer tous les partis.

Baliser le mandat

Le PQ aimerait qu'une commission d'enquête publique se penche sur l'industrie de la construction, le financement des partis politiques et l'attribution de contrats publics. «Je ne veux pas me prononcer sur ce que devrait être le mandat d'une commission. Mais la seule façon qu'elle fonctionne efficacement, c'est de circonscrire son mandat», observe Me Ruel.

Il rappelle que les commissions sur le viaduc de la Concorde ou sur le cas Maher Arar portaient des cas «assez ciblés».

«À l'opposé, j'ai travaillé sur la commission Cornwall. Le mandat était assez large: la réponse des institutions publiques en Ontario sur des allégations d'abus contre de jeunes personnes. L'enquête a duré environ six années et coûté quelque 60 millions.»

Après le dépôt du rapport, le gouvernement ontarien avait modifié sa loi sur les commissions d'enquête pour éviter que cette situation ne se reproduise.

Le mandat peut aussi limiter la durée de la commission.

Le professeur Macdonald ajoute un dernier critère. «Les commissions qui portent sur des faits passés ne donnent pas de bons résultats. Celles qui fonctionnent bien s'intéressent à l'avenir, à la façon de prévenir les problèmes.»