Le premier ministre Jean Charest s'est dit «sensible», mardi, à la pression publique en faveur d'une enquête publique sur l'industrie de la construction, mais il n'a donné aucun nouveau signal indiquant qu'il compte emprunter cette voie.

M. Charest réagissait au cri du coeur de la mairesse de Rivière-des-Prairies-Pointe-aux-Trembles, Chantal Rouleau, qui l'implore d'instaurer au plus vite une commission d'enquête publique.

Dans une lettre qu'elle lui a envoyée vendredi, Mme Rouleau soutient que «la collusion est érigée en système à Montréal». Elle presse le premier ministre d'assumer «ses responsabilités» et d'agir «fermement» dans ce dossier explosif.

«Je suis sensible à l'appel de madame la mairesse comme on est sensibles à la forte préoccupation qu'ont les Québécois sur cette question-là», a déclaré Jean Charest en point de presse à Madrid, en Espagne, où il en était à la dernière journée de sa plus récente mission en Europe.

M. Charest a prétendu être sur la «même longueur d'onde» que les Québécois dans ce dossier, assurant qu'il veut procéder avec «le plus d'efficacité possible» pour «enrayer» les problèmes qui gangrènent le secteur de la construction.

«On veut poser les gestes qui vont avoir le plus d'impact sur la question de la corruption et de la collusion, a-t-il commenté. C'est ça qu'on veut et tous les Québécois veulent ça.»

En entrevue à La Presse Canadienne, Mme Rouleau s'est dite contente de «l'oreille attentive» du premier ministre. «On veut maintenant qu'il aille un peu plus loin, mais je lui fais confiance, je crois qu'il va bien entendre ce que les Québécois ont à dire», a-t-elle poursuivi.

Deux semaines après que le directeur de l'Unité anticorruption, Jacques Duchesneau, eut recommandé la tenue d'une enquête publique, Jean Charest n'a pas toujours pas tranché la question.

Mardi, il a réitéré les trois «critères» que son gouvernement considère pour prendre sa décision: l'importance de protéger la preuve judiciaire et les témoins, ainsi que la possibilité de déposer des accusations contre les suspects.

«On mesure les choix qui se présentent à nous parce qu'il y a des conséquences à ces choix, a-t-il répété. Il faut le savoir. Quand il y a des enquêtes publiques ou privées, ç'a un effet sur les enquêtes policières, sur la preuve et sur la capacité d'accuser.»

En fait, le M. Charest semblait penser moins à une enquête publique qu'à une simple bonification des mécanismes déjà en place, notamment l'Unité permanente anticorruption.

«On fait un examen des mesures qui sont appliquées actuellement et on verra s'il y a des choses qu'on peut ajouter ou faire différemment», a-t-il précisé.

Le premier ministre a tenu à rappeler que si Chantal Rouleau ne se sentait pas en sécurité à la suite de sa sortie publique, elle pouvait demander la protection de la police.

Il s'est par ailleurs montré réticent face à une autre demande de la mairesse, soit un nouveau resserrement des règles d'octroi des contrats municipaux.

À l'instar du maire de Montréal, Gérald Tremblay, Mme Rouleau souhaite que les municipalités puissent négocier à la baisse le prix demandé par le plus bas soumissionnaire dans le cadre d'un appel d'offres si le montant se révèle plus élevé que les estimations préliminaires.

En outre, estime l'élue, les municipalités devraient pouvoir tenir compte du passé des actionnaires des entreprises pour écarter certaines d'entre elles. Elle souligne qu'à l'heure actuelle, il est trop facile pour des individus qui ont éprouvé des ennuis avec la justice de constituer de nouvelles compagnies au dossier vierge.

«Si on peut améliorer (les règles), tant mieux, on va les améliorer», a indiqué Jean Charest, sans aller dans les détails.

Même accueil froid à une autre revendication de Chantal Rouleau: permettre aux municipalités de choisir une autre entreprise que celle qui a présenté l'offre la moins chère en cas de soupçons d'irrégularités.

À l'heure actuelle, dans de telles circonstances, les municipalités doivent attendre au moins six mois avant de relancer un appel d'offres, ce qui est souvent impraticable compte tenu de l'urgence de plusieurs travaux.

Jean Charest a tenté de renvoyer la balle aux élus municipaux en avançant que ceux-ci, «peut-être, ne se sentent pas à l'aise» de profiter de la «marge de manoeuvre» prévue dans la loi et de reprendre les appels d'offres qui n'ont pas donné les résultats escomptés. Il a toutefois omis de mentionner le délai de six mois.

Plan Nord

Avant de rencontrer la presse, M. Charest a fait une nouvelle présentation du Plan Nord de son gouvernement, cette fois-ci devant une centaine de gens d'affaires de Madrid. L'événement était commandité par la multinationale espagnole OHL, qui fait partie des firmes retenues pour la construction du nouveau Centre hospitalier de l'Université de Montréal.

Le président d'OHL, Juan-Miguel Villar Mir, a indiqué qu'une autre des entreprises de son groupe, FerroAtlantica, pourrait éventuellement être intéressée à installer au Québec une immense usine de composés métalliques.

Jean Charest a également rencontré à Madrid plusieurs dirigeants d'entreprises qui songent à investir au Québec. Une annonce serait imminente dans le secteur agroalimentaire.

«Dans le contexte économique actuel, il faut aller sur le terrain chercher les investisseurs, a insisté le premier ministre. Il faut absolument que le Québec fasse l'effort d'aller à l'extérieur si on veut amener les gens à investir chez nous.»

Pas moins de 40 pour cent des échanges commerciaux entre le Canada et l'Espagne passent par le Québec. La valeur des transactions entre la péninsule ibérique et le Québec a bondi de quelque 250 pour cent au cours des dix dernières années.

Au terme d'un voyage de neuf jours qui l'a mené à Paris, Barcelone et Madrid, M. Charest doit rentrer au Québec mercredi.