Soupçonné de vouloir «encadrer» Jacques Duchesneau, le ministre des Transports Pierre Moreau s'est dit prêt mercredi à reporter sa rencontre avec le patron de l'Unité anticollusion (UAC).

M. Duchesneau est attendu mardi prochain en commission parlementaire pour expliquer la teneur de son rapport accablant sur la corruption, la collusion et le trafic d'influence impliquant des firmes de construction sous contrat avec le ministère des Transports.

Or, le ministre des Transports a annoncé son intention de s'entretenir avec M. Duchesneau aussitôt que vendredi, quatre jours avant l'audition inscrite à l'agenda de l'Assemblée nationale.

En point de presse, le président de la commission de l'administration publique, le péquiste Sylvain Simard, a exprimé de lourds soupçons à l'égard du ministre libéral.

Dans l'espoir de limiter les dégâts pour le Parti libéral du Québec (PLQ), Pierre Moreau pourrait tenter d'«encadrer, organiser et aménager» le témoignage potentiellement dévastateur de M. Duchesneau, a estimé M. Simard.

Selon le député de Richelieu, l'histoire récente démontre que M. Moreau n'hésite pas à «organiser des séances» pour empêcher que la vérité soit étalée.

«On a eu l'expérience avec M. Moreau à cette commission il y a un an et demi à la suite du rapport du vérificateur général du ministère des Transports. On a eu une séance complètement organisée par M. Moreau, qui était whip à l'époque, et qui a empêché de connaître quelque vérité que ce soit», a-t-il relaté.

De façon prévisible, le ministre des Transports a nié catégoriquement vouloir dicter le message que livrera M. Duchesneau.

Après avoir qualifié de ridicules et de fallacieux les arguments lancés par le député de l'opposition, M. Moreau s'est dit prêt, non sans maugréer, à reporter son entretien avec M. Duchesneau.

«J'ai aucun problème à changer (de date)», a lancé M. Moreau sur un ton désinvolte à la sortie du conseil des ministres.

Il proposera à Jacques Duchesneau de remettre à plus tard leur rendez-vous, si ce dernier est «mal à l'aise» avec la rencontre prévue vendredi.

«Je n'ai aucune objection à reporter cette rencontre, mais je pense que ce n'est pas dans notre intérêt de le faire pour une raison simple: c'est qu'on doit y aller le plus rapidement possible», a-t-il argué.

En attendant le témoignage de Jacques Duchesneau, le ministre des Transports a indiqué en matinée qu'il fera examiner 74 contrats ayant fait l'objet de dépassements de coûts en 2010-2011.

Ces contrats de plusieurs millions de dollars passeront sous le loupe du vérificateur interne du ministère.

«Les dépassements représentent 3,2 pour cent de l'ensemble des contrats et sont concentrés sur 74 des 1528 contrats que nous avons octroyés. J'ai demandé ce matin à ce que le vérificateur interne du ministère revoit chacun des 74 contrats parce que ce que les Québécois veulent, c'est la vérité», a dit M. Moreau, pendant la période de questions.

Depuis la rentrée parlementaire, l'opposition péquiste embarrasse le gouvernement en Chambre en énumérant «les allonges» consenties à des entreprises sous contrat avec le ministère que dirige Pierre Moreau.

Dans son rapport, Jacques Duchesneau mentionne en effet l'existence d'un système bien organisé «d'extras» - des paiements pour des travaux facturés après l'obtention d'un contrat - que se partagent des joueurs de l'industrie. Les recettes obtenues grâce à ces «extras» serviraient en partie à garnir des caisses électorales.

Selon le porte-parole du Parti québécois en matière de transports, Nicolas Girard, deux projets confiés à la compagnie Simard-Beaudry Construction, appartenant à l'homme d'affaires controversé Tony Accurso, ont eu droit à d'importants extras ces dernières années.

En 2007 et 2010, l'entreprise a obtenu des rallonges de plus de 2 millions $ pour divers travaux pour couvrir des dépassements avoisinant les 30 pour cent de la valeur des contrats originaux.

«Nous ne souhaitons pas ici multiplier les extras dans les contrats du ministère des Transports, il n'y a personne qui souhaite ça, et il n'y a personne au Québec qui souhaite ça», a insisté le ministre Moreau.

Le gouvernement du Québec soutient que les dépassements de coûts sont autorisés à la lumière d'analyses administratives et sans aucune intervention politique.

Sans surprise et malgré les appels du pied de Pauline Marois, la majorité libérale a battu en fin de journée une motion exigeant la tenue d'une commission d'enquête publique sur l'industrie de la construction, l'octroi de contrats publics et le financement politique.

Tous les députés libéraux ont respecté la ligne de parti. La motion a été défaite à 60 voix contre 55.