Accusés de collusion avec les entrepreneurs dans l'adjudication des contrats du ministère des Transports, les fonctionnaires s'insurgent: les patrons sont bien mieux en mesure que les syndiqués de divulguer des données stratégiques aux firmes de génie-conseil.

Dans son rapport, Jacques Duchesneau recommande que les ingénieurs du Ministère soient soumis à «une clause renforcée interdisant de s'associer de quelque façon que ce soit à une firme ou une entreprise faisant affaire avec le Ministère pour une période de deux années». On demanderait à ceux qui partent à la retraite de signer des engagements de confidentialité pour prévenir tout favoritisme et restreindre les départs.

Dans une sortie incisive, hier, Lucie Martineau, présidente du Syndicat des fonctionnaires provinciaux, a rappelé que, dans les dernières années, pas moins de neuf sous-ministres et sous-ministres adjoints du ministère des Transports ont été embauchés par de grandes firmes de génie-conseil comme Genivar, Dessau, BPR et Roche. À cela s'ajoutent une vingtaine d'anciens cadres passés eux aussi au privé. «Les gens ont le droit de travailler, mais il devrait y avoir des clauses de confidentialité», soutient-elle.

La sous-traitance est devenue la règle, au Ministère. Depuis 1990, le nombre d'ouvriers permanents a été réduit de 10 000 à 800 (plus 2000 «saisonniers»). Pourtant, Québec paie deux fois plus cher pour les employés des sous-traitants. Ces pratiques débouchent sur des horreurs administratives. «Un contrat est passé de 255 000$ à 450 000$ pour surveiller 650 mètres de route en Abitibi», relève Mme Martineau.

Le Ministère a perdu son expertise. «Les firmes qui exécutent les mandats se vérifient elles-mêmes. Attachez-moi, quelqu'un, cela n'a pas de sens!», a clamé la syndicaliste.

L'Ordre des ingénieurs du Québec dénonce aussi le manque de personnel au Ministère pour contrôler les chantiers et la facturation de différents «extras».

Mme Martineau ajoute que le ministre des Transports, Pierre Moreau, se trompe quand il affirme que tous les dépassements sont autorisés par la sous-ministre. Les «extras» qui ne dépassent pas 10% du contrat sont décidés localement, tout comme les changements dans les quantités de gravier, de ciment ou de bitume.

Le Syndicat des professionnels du gouvernement du Québec (12 000 membres) «n'exclut pas la possibilité» que certains de ses membres «puissent être impliqués dans le trafic d'influence», dit son président, Gilles Dussault. «Mais cela ne touche pas des exécutants syndiqués. On parle plus de la gestion supérieure des ministères pour ces irrégularités», insiste-t-il. L'embauche de hauts fonctionnaires par des entrepreneurs après leur retraite «dispose à des relations incestueuses», observe-t-il.