Placement de la main-d'oeuvre et reddition des comptes des syndicats; voici deux des multiples enjeux, mais à coup sûr parmi les plus sensibles, qui figurent au menu du vaste chantier de modernisation de l'industrie de la construction enclenché par la ministre du Travail et la PDG de la Commission de la construction du Québec (CCQ). L'objectif ambitieux est de parvenir à présenter des modifications de la loi R-20 à l'automne. Mais dans le monde syndical, on se demande si le gouvernement n'a pas comme arrière-pensée de briser certains acquis ou prérogatives syndicales.

En conférence de presse, la ministre Lise Thériault a indiqué qu'il était nécessaire «d'adapter la réglementation de l'industrie de la construction à la réalité d'aujourd'hui» et «légitime de se poser des questions sur son fonctionnement». «C'est une industrie qui fonctionne bien, mais lorsqu'il y a des pépins, on doit avoir le courage de les regarder. Depuis 20 ans, il n'y a eu aucune révision en profondeur», a-t-elle dit.

Ce chantier de dépoussiérage et de modernisation des relations de travail et de la gestion de la main-d'oeuvre commencera en mai et se fera, a promis la ministre, en concertation avec les acteurs de l'industrie et avec le support de «spécialistes indépendants» qui valideront «les propositions qui découleront des travaux».

Les six enjeux ciblés sont les suivants: amélioration de la gouvernance de la CCQ, encadrement du placement de la main-d'oeuvre, système de votation et régime de négociation des conventions collectives, transparence et reddition de comptes des associations syndicales et patronales, mécanisme de révision de la juridiction des métiers et qualification de la main-d'oeuvre.

«Cette liste d'épicerie est assez longue et ambitieuse, dit Yves Ouellet, le DG de la FTQ Construction qui représente 44% des travailleurs du secteur. Chaque point doit être discuté en profondeur. On n'en laissera pas un passer sans être certains des impacts sur nos travailleurs. C'est notre rôle.»

Lors de cette annonce, la ministre et la nouvelle PDG de la CCQ ont pris soin de choisir leurs mots et de gommer toute intention belliqueuse. Lise Thériault et Diane Lemieux ont employé à plusieurs reprises les mots «partenaires» et «consultation».

Placement direct

Malgré tout, au sein du monde syndical, même si on veut«donner la chance au coureur», on se demande si certaines cartes ne semblent pas jouées d'avance. «On se pose la question, c'est vrai», dit Yves Ouellet.

Sentiment renforcé par le fait que les rares exemples concrets abordés par Mmes Thériault et Lemieux concernent des dossiers épineux. Par exemple, le placement de la main-d'oeuvre qui concerne surtout les grands chantiers et les métiers spécialisés. On ne peut que penser alors aux cas d'intimidation sur les chantiers et au désormais célèbre Rambo de la Côte-Nord ou le cas de l'usine Gaspésia. Diane Lemieux a en tête un «système de référence», vraisemblablement sur l'internet comme en Alberta, où l'on afficherait offres et demandes d'emploi. Travailleurs et employeurs pourraient ainsi se contacter directement sans passer par les syndicats. Diane Lemieux refuse de parler de briser un monopole, mais dit plutôt rechercher une «alternative». Yves Ouellet rappelle toutefois que les syndicats ne réaliseraient que 10% des placements.

Autre sujet de discorde en vue, le gouvernement veut plus de transparence dans les états financiers des organisations patronales et syndicales déposés chaque année à la CCQ. Au passage, il a été révélé que certains états financiers n'étaient pas vérifiés. En 2010, la CCQ a remis pour près de 70 millions de dollars de cotisations aux syndicats, selon des données obtenues par La Presse.

Pour Aldo Miguel Paolinelli, président de la CSN Construction, il est clair que des changements sont nécessaires pour «assurer un véritable droit au travail» pour tous les travailleurs. «Mais la ministre procède à l'envers», estime M. Paolinelli, qui se dit en faveur d'une commission d'enquête sur la construction qui pourrait «faire toute la lumière sur tout ce qui se passe sur les chantiers».

L'Association de la construction du Québec, qui représenterait 15 000 entreprises du secteur, dit accueillir favorablement cette annonce.