L'escouade anticorruption que songe à créer le premier ministre Charest risque fort d'être une structure «inefficace», un nouveau «paravent» qui nuira au travail policier, prévient le président de l'Association des policiers provinciaux du Québec, Jean-Guy Dagenais.



Évoquée au lendemain de la défaite libérale dans Kamouraska-Témiscouata, l'idée «sent l'improvisation». À quoi se raccrochera cette nouvelle escouade qui travaillerait dans des dossiers très délicats? demande M. Dagenais. «Cela va relever du Ministère? On se rapproche dangereusement du pouvoir politique. L'indépendance de la police, c'est important...» a lancé mercredi le chef syndical dans un entretien accordé à La Presse.

Plus tôt, le ministre de la Sécurité publique, Robert Dutil, avait soutenu que c'était «un hasard» si le projet avait été évoqué au lendemain de la défaite électorale.

«On est en train d'étudier cela, on est conscient de ce problème», a dit le ministre quand on lui a rappelé les risques de la proximité entre cette structure et le pouvoir politique.

Selon lui, il faut une structure permanente («c'est le maître-mot») pour lutter contre la corruption «dans son ensemble, pas seulement sur la construction», pour éviter «que la mauvaise herbe ne repousse». «On veut éviter un situation où on augmente la bureaucratie», a-t-il insisté.

Le projet d'une escouade inspirée de ce qui existe à New York est à l'étude depuis un an à son ministère, a-t-il plaidé. Au moment de son arrivée, en août, il a demandé qu'on continue dans cette voie. «Nous aurons une décision en deçà de deux mois», a-t-il prédit.

Une escouade Marteau permanente

Si le gouvernement tient à «quelque chose de permanent, il n'a qu'à rendre permanente l'escouade Marteau», a affirmé M. Dagenais. Il s'inquiète que jamais le gouvernement n'ait parlé de cette idée, même à un comité restreint où siègent l'ensemble des chefs de police et les hauts fonctionnaires. Une rencontre a eu lieu à la fin d'octobre sans que le projet ne soit même évoqué.

Selon M. Dagenais, le procureur-chef de l'escouade Marteau, Sylvain Lépine, a probablement mis le doigt sur un problème important en soutenant que les lois nécessaires pour stopper la collusion entre les entrepreneurs sont désuètes.

À l'Assemblée nationale, le député péquiste Stéphane Bergeron a qualifié de manoeuvre de diversion cette idée d'escouade anticorruption, «sortie d'un chapeau, bricolée sur le coin d'une table». Selon lui, Québec cherche avant tout à détourner l'attention devant le message de la population, que réitère le résultat de la complémentaire dans Kamouraska. La population revendique une commission d'enquête publique sur la construction, a-t-il dit. Il accuse le gouvernement «d'utiliser depuis des mois les policiers et les procureurs à des fins politiques pour éviter d'assumer ses responsabilités».

Au bureau de Louis Dionne, directeur des poursuites criminelles et pénales, on se dit étonné que le côté désuet de certaines des dispositions contre la collusion ait été interprété comme une entrave au dépôt de poursuites dans les dossiers de l'escouade Marteau. «Me Lépine (responsable de l'escouade, ndlr) n'a jamais dit qu'on ne pouvait pas accuser. Cela ne retarde d'aucune façon, on peut accuser même si les dispositions datent d'un certain âge», a soutenu Me Martine Bérubé, porte-parole de Me Louis Dionne.

Le ministre de la Justice, Jean-Marc Fournier, a soutenu en point de presse comme à l'Assemblée nationale que les procureurs ont «tous les outils nécessaires» pour intenter des poursuites. Un élément de «vétusté» a été relevé par Me Lépine, les procureurs auront à préparer un dossier pour alimenter une requête auprès du gouvernement fédéral, responsable du Code criminel, a expliqué M. Fournier.