C'est 1 mois de prison ou 150 heures de travaux communautaires qu'on réclame comme peine pour Gabriel Nadeau-Dubois.

L'ex-porte-parole de la CLASSE a été reconnu coupable la semaine dernière d'outrage au tribunal pour avoir incité à violer une injonction accordée à un autre étudiant, Jean-François Morasse, qui lui permettait d'assister à ses cours.

Le dossier est pénal, mais il relève du Code civil. Cela signifie que M. Nadeau-Dubois n'aura pas de dossier criminel.

Les argumentations sur la peine se déroulaient ce matin. Le juge Denis Jacques a mis la cause en délibéré. L'avocat de M. Morasse, Me Maxime Roy, a proposé deux peines : un bref séjour en prison ou 150 heures de travaux communautaires «dans un délai de 6 mois». Il n'a pas indiqué de préférence entre ces deux options. Il a écarté la troisième possibilité, l'amende.

M. Nadeau-Dubois est passible d'une amende maximale de 5000$. «Aucune garantie ne peut être faite que l'amende sera payée par (M. Nadeau-Dubois)», a-t-il soutenu. L'ex-leader étudiant a annoncé qu'il interjetterait appel. Il a déjà amassé plus de 85 000$ pour payer sa défense. Me Roy croit que le défendeur utiliserait cette somme pour payer l'amende, ce qui la rendrait inutile, selon lui.

Lors d'un bref point de presse après l'audience, M. Nadeau-Dubois s'est engagé à ne pas se servir de l'argent amassé pour payer une éventuelle amende. Les fonds amassés serviront seulement à payer pour son appel et à rembourser les frais payés par la CLASSE pour son procès. «Les cotisations étudiantes devraient servir à des choses plus utiles comme se préparer pour un sommet sur l'éducation supérieure», a-t-il dit. Et s'il y a des surplus? Ils serviront à défendre les autres manifestants accusés lors du conflit étudiant, a-t-il expliqué. «L'enjeu, ce n'est pas moi ou la peine que je pourrais avoir. C'est la liberté d'expression au Québec. Ce sont les arguments qu'on va faire valoir en appel», a-t-il tenu à ajouter.

Comme le lui a conseillé son avocat, Me Guiseppe Sciortino, M. Nadeau-Dubois a gardé le silence lors de son procès.

La peine maximale est un an de prison ou une amende de 5000$. Aucune peine minimale n'est prévue. Me Sciortino a recommandé de ne pas imposer de peine à son client. Il veut aussi que la prison soit exclue. «Il est hors de question que (mon client) soit condamné à même une heure de prison. Cela serait considéré comme une recherche de bouc émissaire», a-t-il lancé au juge. La peine la «moins déraisonnable» serait une amende. Et s'il fallait ordonner des travaux communautaires, il ne faudrait pas dépasser 20 heures, a-t-il plaidé.

Les faits remontent au 13 mai dernier. En interview à RDI, M. Nadeau-Dubois avait déclaré: «Je crois qu'il est tout à fait légitime pour les étudiants de prendre les moyens de respecter le choix démocratique qui a été fait d'aller en grève. C'est tout à fait regrettable qu'il y ait une minorité d'étudiants et d'étudiantes qui utilisent les tribunaux pour contourner la décision collective qui a été prise. On trouve ça tout à fait légitime que les gens prennent les moyens nécessaires pour faire respecter le vote de grève. Et si ça prend des lignes de piquetage, on croit que c'est un moyen tout à fait légitime.»

L'argument Voltaire

Gabriel Nadeau-Dubois ne s'exprimait pas à titre de citoyen, a plaidé Me Sciortino. Il le faisait à titre de porte-parole de la CLASSE. Il n'était qu'une courroie de transmission.

Il ajoute que son client a défendu les idées «d'une partie de la population et d'une majorité des intellectuels et des artistes». Le leader étudiant était un «symbole». «On n'arrête pas Voltaire», a dit l'avocat, reprenant une célèbre phrase de Charles de Gaulle. En 1968, le président français avait répondu ainsi à un de ses ministres qui voulait arrêter le philosophe Jean-Paul Sartre à cause de ses activités subversives (la signature du manifeste des 121 contre la torture en Algérie). «M. Nadeau-Dubois n'est pas Voltaire, mais vous savez que c'est quelqu'un qui va jouer un rôle important dans notre société», a-t-il dit.

«Il n'a pas été sacré roi, et il n'est certainement pas au-dessus des lois», a répliqué Me Roy.

Autre argument de Me Sciortino: le contexte social. La déclaration à RDI a été faite durant «une crise sociale sérieuse, pendant laquelle le gouvernement a refusé négligemment de régler la crise politiquement, comme il devait le faire». Ce n'était pas aux tribunaux de régler la crise, a-t-il soutenu.

Aussi, il fallait selon lui «préserver une certaine forme de rébellion», qui est «garante d'un changement social». Selon l'avocat, il n'y a «aucune contradiction» entre cette exigence et le respect de la primauté du droit.

«Vous avez compris dans mon jugement que je ne suis pas d'accord», a répondu le juge.

Pour relativiser l'infraction de son client, Me Sciortino a ensuite parlé de la commission Charbonneau et du témoin Gilles Surprenant, qui a admis avoir empoché plus de 500 000$ en pots-de-vin.

«Ce n'est pas de cela qu'on parle. Vous mêlez deux dossiers», a lancé le juge.

Me Sciortino critique l'injonction accordée à Jean-François Morasse. Cette injonction nie le droit de grève des étudiants, un droit non écrit dans la loi, mais reconnu dans la pratique, a-t-il soutenu. Mais ce n'est pas la validité de l'injonction qui est en jeu dans cette cause, c'est sa violation, a rappelé le juge.

L'autre argument du défendeur repose sur l'article 11 de la Charte canadienne des droits et libertés. Il permet «de bénéficier de la peine la moins sévère» lorsque la peine qui sanctionne l'infraction est modifiée entre la perpétration et la sentence. La loi 12 (projet de loi 78) suspendait les injonctions mais maintenait la seule accusation d'outrage au tribunal - celle de M. Nadeau-Dubois. Cette loi a depuis été abrogée par le gouvernement péquiste.

«J'ai un peu de difficulté avec votre syllogisme», a répondu le juge. Certes, l'injonction n'est plus en vigueur, mais l'infraction d'outrage au tribunal demeure, a-t-il expliqué.

Menaces de mort

Même si le conflit étudiant semble terminé, la peine doit avoir un effet «dissuasif», a plaidé l'avocat de Jean-François Morasse. «Ce n'est pas parce qu'il y a un retour au calme qu'il n'y aura jamais d'autres situations opposant un gouvernement à un groupe qui milite», a-t-il dit.

Le calme n'est pas complètement revenu. Le juge a lui-même été menacé sur les réseaux sociaux, lui a appris Me Roy. «On parle de vous pendre par la cravate parce que vous êtes le crosseur de la justice qui a condamné GND», lui a-t-il dit en lisant un message publié sur Facebook.

Le caractère public de l'outrage doit aussi être pris en considération. L'outrage n'implique pas seulement deux individus. Les propos de M. Nadeau-Dubois ont été prononcés à RDI au sujet d'un conflit social. Les conséquences sont difficiles à évaluer, a reconnu Me Roy. Mais elles pourraient être significatives, à cause de l'influence de l'ex-leader étudiant. Et elles pourraient avoir un effet à long terme.

Il ajoute que M. Nadeau-Dubois n'a montré «aucune preuve» de remords. Il ne s'agissait de propos isolés, croit-il. Pour le démontrer, il a produit en preuve un discours de M. Nadeau-Dubois prononcé le 7 avril à l'événement Nous. Au sujet de Laurent Proulx, premier étudiant à obtenir une injonction, il a dit ceci: «On a raison de se lever, on a raison de crier, on a raison de manifester, on a raison de faire la grève, on a raison de bloquer l'entrée à nos cégeps et de bloquer l'entrée à nos universités. On a raison de ne pas se laisser impressionner par les injonctions d'un petit con qui a perdu son débat en assemblée générale et qui a des parents assez riches pour se payer un avocat.»

Par contre, son «jeune âge» et son «absence d'antécédents judiciaires significatifs» militent en faveur d'une peine plus clémente, a reconnu Me Roy.

TLMEP : pas d'interdiction explicite

Le juge Jacques a tenu à rappeler ce matin qu'il n'a jamais demandé ouvertement aux parties de ne pas participer à l'émission Tout le monde en parle.

Le magistrat a tenu une conférence téléphonique avec les deux avocats, hier, à leur demande. À la fin de la conversation, «le tribunal a invité les procureurs à réfléchir à la règle de sub judice», a-t-il précisé.

Selon cette règle, on n'émet pas de commentaire «susceptible d'influencer une décision judiciaire», a rappelé le juge. Le matin même, Le Soleil avait révélé que Gabriel Nadeau-Dubois avait été invité à la populaire émission de Radio-Canada.

Le juge n'est pas allé plus loin dans sa mise en garde. «Aucune demande spécifique n'a été faite aux procureurs», a-t-il précisé. C'était «simplement un rappel d'une règle élémentaire», a-t-il ajouté, visiblement irrité qu'on laisse entendre qu'il ait formellement interdit aux parties de donner des interviews.

Le juge s'est aussi inquiété des menaces de mort faites à l'endroit de MM. Morasse et Nadeau-Dubois et autres «dérapages». «Ça n'a aucun sens», a-t-il lancé. Chacun doit pouvoir exercer droits «sans aucune pression ni intimidation de quiconque», a-t-il insisté.