Après 10 semaines de grève, le conflit étudiant s'envenime de jour en jour. Après quelques lueurs d'espoir au début de la semaine, les discussions entre le gouvernement et les étudiants et élèves ont tourné court. La crise semble dans un cul-de-sac. Comment la résoudre? Nous avons demandé à des personnalités publiques d'analyser la situation et de nous proposer des pistes de solution.

Gérald Larose, ancien président de la CSN

«Le gouvernement cherche un mort»

Depuis le début de la crise, le gouvernement n'essaie pas de trouver de solution à la crise. Il attend, affirme M. Larose. «Le gouvernement cherche un mort. Il cherche un drame qui polariserait la société pour essayer de la faire basculer. Il court littéralement au drame.» La seule solution aurait été la prévention, ajoute-t-il. Or, le gouvernement agit plutôt de façon condescendante, paternaliste et méprisante, affirme l'ancien chef syndical. «On est en présence d'un monument de mauvaise foi.» Pas étonnant, croit-il, que le conflit dégénère et que du grabuge soit commis. Le gouvernement avait fait le pari que le mouvement étudiant s'essoufflerait après Pâques, une fois passé l'effet galvanisant de la manifestation du 22 mars. Ce n'est pas ce qui est arrivé. La réaction du gouvernement devant la CLASSE, une organisation «horizontale» sans hiérarchie qui prône une démocratie directe, est «une provocation pure et simple», accuse M. Larose.

Photo David Boily, Archives La Presse

Gérald Larose

Jean Cournoyer, ancien ministre libéral

Au premier ministre d'agir

Le conflit a assez duré. Le premier ministre Jean Charest doit intervenir personnellement, croit Jean Cournoyer. «Sans nécessairement tasser sa ministre, qu'il prenne le dossier en main.» À titre de ministre, il a lui-même dû éteindre plusieurs crises dans les années 70, notamment lors de la grève des policiers de la Sûreté du Québec. M. Cournoyer s'était adressé à l'assemblée des policiers pour les convaincre de rentrer au travail. «Je me suis souvent retrouvé dans le rôle du pompier.» Ce rôle, qui peut le jouer au sein du gouvernement Charest? «À part le premier ministre qui décide de prendre en main le dossier avec l'intention de le régler d'une façon ou d'une autre, je ne vois pas d'autre solution», indique M. Cournoyer. Il pense aussi que la ministre de l'Éducation, Line Beauchamp, en porte lourd sur ses épaules pendant que le ministre des Finances, Raymond Bachand, reste plutôt silencieux, lui qui a pourtant chiffré la hausse des droits de scolarité dans son budget.

Photo fournie par la SRC

Jean Cournoyer

Claude Castonguay, ancien ministre libéral

Opter pour la médiation

L'ancien ministre libéral Claude Castonguay l'a dit à plusieurs reprises depuis le début de la crise: vite, un médiateur. «La seule façon de dénouer une impasse comme celle-là, c'est d'engager un dialogue. Comme ils n'ont pas été capables de le faire en s'affrontant, l'autre voie est celle d'un médiateur.» Une porte de sortie acceptable pour les deux parties est encore envisageable. «Différentes solutions ont été suggérées: qu'on suspende l'imposition pour une période de temps, qu'on étale la hausse, qu'on la réduise un peu», souligne M. Castonguay. Peu importe le conflit, c'est par la médiation que la crise se résoudra et c'est au premier ministre Jean Charest d'y avoir recours. «La solution passe par un geste du premier ministre parce que c'est clair que le courant ne passe plus entre la ministre Beauchamp et les associations étudiantes.»

Photo: Rémi Lemée, Archives La Presse

L'ancien ministre libéral Claude Castonguay.

Michel Kelly-Gagnon, PDG de l'Institut économique de Montréal

«Une bonne politique publique»

Pour le président et directeur général de l'Institut économique de Montréal, il est clair que la hausse des droits de scolarité est une «bonne politique publique». Le gouvernement ne doit pas reculer. «Si, pour sortir de la crise, le prix est de renoncer à cette politique publique qui est bonne et essentielle, c'est trop cher payé», affirme M. Kelly-Gagnon. Des ajustements pourraient être apportés, dit-il en évoquant une modulation des droits de scolarité en fonction du programme universitaire et de l'établissement d'enseignement. D'autres ont suggéré un plus long étalement dans le temps. Une solution à laquelle M. Kelly-Gagnon n'est pas favorable, lui qui pense que la hausse est déjà trop modeste. Quant à la ligne dure adoptée par le gouvernement en réponse à la violence de certaines manifestations, il l'approuve, en affirmant que par le passé, les gouvernements ont trop souvent cédé à la violence. «Il est temps que ça change.»

Photo: Armand Trottier, Archives La Presse

Michel Kelly-Gagnon

Louis Bernard, consultant et ancien haut fonctionnaire de l'État

Étaler la hausse

La crise s'enlise, estime Louis Bernard. «C'est très difficile, si on ne règle pas dès le départ, de régler une situation de crise. Et quand la situation de crise arrive, il faut être très rapide pour la régler, sans quoi, c'est très dangereux que ça dérape.» La solution convenable pour les deux parties? Répartir la hausse des droits de scolarité sur six ans plutôt que cinq et la réduire de moitié la première année. Les étudiants comme le gouvernement auraient l'impression d'avoir gagné quelque chose. M. Bernard estime aussi que le gouvernement a été rapide pour mettre fin aux négociations, ce qui est dangereux. «Malgré tout, jusqu'à maintenant, ça n'a pas dérapé complètement. Il est encore temps de remettre les choses sur les rails, mais ça urge de plus en plus.»

Louis Bernard

Michel Grant, professeur en relations industrielles à l'UQAM

La perception du public compte

Dans une crise, la perception du public est très importante, estime M. Grant. Si le gouvernement suspend la hausse des droits de scolarité ou impose un moratoire, il donnera l'impression à la population de baisser les bras. En revanche, une certaine modulation, comme réduire la hausse ou l'étaler davantage dans le temps, avec à terme une formule d'indexation, lui permettrait une sortie élégante, croit ce spécialiste en relations industrielles. S'il choisissait la voie de la médiation, le gouvernement Charest devrait faire preuve d'ouverture. «La médiation repose sur la volonté des parties qu'il y ait un médiateur et que chacun ait quelque chose d'autre que le statu quo en retour.»

Photo fournie par l'UQAM

Michel Grant