Le ministère des Transports du Québec «s'est très peu intéressé aux pratiques collusoires» dans les années 2000, alors que «le recours à des stratagèmes de collusion se produisait sous ses yeux» et qu'au moins deux cartels étaient actifs, parmi ses fournisseurs réguliers, pour les contrats d'asphalte et d'éclairage extérieur.

Dans son rapport final rendu public hier, la commission Charbonneau souligne que sur une période de 15 ans, de 1996 à 2011, le service des enquêtes du MTQ - car il en existe un - a ouvert pas moins de 1231 dossiers divers. De ce nombre, à peine une demi-douzaine d'enquêtes portaient «sur de possibles activités de collusion ou de corruption» relatives à des contrats de construction.

La Commission a ainsi examiné en détail les événements entourant l'attribution et le suivi du contrat de construction du rond-point L'Acadie, dans le nord de Montréal, et d'un contrat de reconstruction de la chaussée de l'autoroute 40, entre l'autoroute Décarie et le boulevard des Sources, dans l'ouest de la métropole.

Multiples malversations

Au début des années 2000, ces deux contrats d'envergure, qui comptaient à l'époque parmi les plus importants jamais accordés par le Ministère, ont fait «l'objet de multiples malversations impliquant des ingénieurs, des entrepreneurs et certains fonctionnaires» du MTQ.

Dans les deux cas, le Ministère a enquêté, et dans les deux cas, «l'enquêteur du MTQ a conclu à l'absence de collusion. Les travaux de la Commission ont établi le contraire».

De plus, les témoignages entendus en audiences publiques «ont montré que, durant la période visée par son mandat, d'importantes pratiques de collusion dans le domaine de l'asphaltage ont affecté le MTQ. Or, ce dernier n'a jamais déclenché d'enquêtes sur ce sujet».

Le service des enquêtes du MTQ ne possédait «ni les ressources ni l'expertise pour effectuer ce type d'enquêtes».

Pourtant, «selon les témoignages recueillis par la Commission, les hauts dirigeants du MTQ ont su dès 2002 que des pratiques collusoires avaient cours dans le domaine des travaux routiers qui relevaient de sa responsabilité ainsi que dans l'industrie de la construction en général».

Selon l'analyse de la Commission, le MTQ s'est rendu «vulnérable aux stratagèmes de collusion et de corruption», à partir des années 90 et 2000, en recourant de plus en plus massivement à la sous-traitance pour la conception et la surveillance de ses travaux routiers, et en perdant peu à peu l'expertise nécessaire pour «contester les propositions inutilement coûteuses des firmes et des entreprises de travaux publics».

Une série de réformes structurelles menées au sein du Ministère avaient déjà entraîné des départs à la retraite de professionnels, notamment des ingénieurs, et un exode vers le secteur privé qui offrait des salaires plus alléchants. Cette perte d'expertise a été aggravée par le recours devenu presque systématique aux firmes d'ingénierie externes, y compris pour évaluer les coûts des contrats et les demandes d'avenants (les extras) formulées par les entrepreneurs, lors de la réalisation des travaux.

Expertise insuffisante

Le MTQ «s'est retrouvé dans une relation de dépendance et de vulnérabilité face aux firmes de génie privées. La perte de maîtrise d'oeuvre des travaux et une expertise interne insuffisante l'ont également rendu vulnérable».

Afin de briser cette dépendance, qu'elle perçoit comme «un terreau fertile pour la collusion», la Commission recommande à Québec d'«accroître l'expertise interne au MTQ».

De 2011 à 2014, indique la Commission, «le MTQ a effectué 625 embauches, dont les deux tiers ont été affectés à la reprise d'activités à l'interne». Ces efforts ont notamment permis d'augmenter le pourcentage des travaux de surveillance réalisés par le MTQ de 16 à 21%. Les travaux d'inspection réalisés à l'interne sont passés quant à eux de 43% à 58%.

Selon le MTQ, «ce rapatriement d'activités à l'interne aurait permis d'économiser 11,2 millions de dollars pour l'année 2013-2014 seulement».