Le ministère des Transports du Québec (MTQ) n'en fait pas assez pour renforcer son expertise interne et se conformer aux recommandations émises il y a deux ans par la commission Charbonneau sur la corruption dans l'industrie de la construction.

Dans son deuxième rapport annuel, publié la semaine dernière, un comité de suivi formé d'experts indépendants estime que le MTQ, maintenant appelé ministère des Transports, de la Mobilité durable et de l'Électrification des transports (MTMDET), n'a pas pris de mesures concrètes pour « accélérer l'embauche de techniciens et d'ingénieurs » déjà prévue pour 2017 et « se doter d'un plan d'amélioration pour les années subséquentes ».

Il s'agit de la plus importante des quatre recommandations adressées directement au MTQ par la commission Charbonneau dans un rapport publié il y a maintenant deux ans. En 2016, le comité indépendant de suivi de ces recommandations avait déploré « le manque d'efforts déployés afin d'augmenter l'expertise interne du MTQ », dont l'absence « rend le MTQ plus vulnérable à la corruption et à la collusion ».

Un an plus tard, le comité s'est contenté de citer un rapport récent de la Vérificatrice générale du Québec qui indiquait en juin que le Ministère n'atteindrait probablement pas sa cible de 2017. La recommandation de la commission Charbonneau sur l'expertise interne du MTQ fait partie des 24 recommandations (sur 60) qui ne montrent aucun signe de mise en oeuvre de la part du gouvernement du Québec.

CRITIQUE RÉCURRENTE

Le manque d'expertise interne dans les rangs du ministère des Transports fait débat depuis plusieurs années. Dès 2011, le directeur de l'unité anticollusion au sein du MTQ, l'ex-policier Jacques Duchesneau, déplorait que les ingénieurs de l'État soient « cantonnés dans des tâches administratives », alors que la presque totalité des estimations de coûts pour les contrats du Ministère était confiée à des firmes de génie-conseil privées.

En juin dernier, la Vérificatrice générale du Québec sonnait à nouveau l'alarme. Dans son rapport, elle estimait que, « dans le contexte où le ministère demeure vulnérable sur le plan de l'expertise », la capacité du MTQ à encadrer adéquatement le travail de ces firmes « soulève des préoccupations ».

La commission Charbonneau a enquêté durant quatre ans sur l'industrie de la construction, son infiltration par le milieu interlope, son rôle dans le financement des partis politiques et ses liens avec les élus municipaux et provinciaux. Elle s'est aussi penchée sur l'étendue des responsabilités confiées principalement au secteur privé par le MTQ.

En cours de travaux, la commission a révélé les ficelles d'un cartel d'entreprises qui a régné pendant des années sur les contrats d'asphalte au Québec. Elle a aussi exposé en détail les pratiques de financement illégal des partis politiques par des entrepreneurs et des grandes firmes d'ingénierie privées du Québec, qui obtiennent une part importante des contrats du MTQ.

Un lien évident a été établi entre ce financement illégal et des contrats d'ingénierie et de construction dans le milieu municipal. Mais la Commission n'a pas établi de lien direct entre le financement illégal des partis politiques et les contrats obtenus du MTQ.

Dans son rapport final de novembre 2015, la commission Charbonneau a néanmoins formulé quatre recommandations concernant directement le MTQ (voir capsules ci-contre).

PAS QU'UNE QUESTION DE CHIFFRES

Dans sa réponse au rapport de la Vérificatrice générale du Québec, en juin dernier, le MTQ a affirmé que « les efforts consentis entre octobre 2011 et mars 2017 ont permis de faire passer le nombre d'ingénieurs à l'emploi du ministère de 557 à 910, une augmentation de 62 % ».

Pour le président de l'Association professionnelle des ingénieurs du gouvernement du Québec (APIGQ), Marc-André Martin, « le renforcement de l'expertise interne ne se calcule pas en nombre d'ingénieurs. Ça se calcule en qualité et par notre capacité d'aller chercher les gens dont on a besoin ».

Selon lui, seulement 6 % des nouveaux ingénieurs embauchés depuis 2015 comptent au moins 10 ans d'expérience. De plus, assure-t-il, l'augmentation des effectifs d'ingénieurs et de techniciens n'a entraîné aucune diminution des contrats d'ingénierie attribués par le MTQ à des firmes privées, depuis 2011.

Le renforcement de l'expertise était un des principaux chevaux de bataille de l'APIGQ lors de la négociation de la plus récente convention collective, qui a mené à une entente de principe la semaine dernière. Ce projet de convention n'étant pas encore approuvé par les ingénieurs syndiqués de l'État, M. Martin n'a pas donné de détails sur les progrès accomplis.

« Avec cette nouvelle convention, on fait un pas dans la bonne direction, dit-il, mais il reste une longue route à parcourir. D'après moi, on en a pour 15 ans à rattraper toute l'expertise qu'on a perdue. »

UN SUIVI VARIABLE POUR LES AUTRES RECOMMANDATIONS

En plus du renforcement de l'expertise interne, la commission Charbonneau a formulé trois autres recommandations qui concernaient spécifiquement le ministère des Transports, de la Mobilité durable et de l'Électrification des transports (MTMDET). Ces recommandations ont connu des suites très différentes, selon le rapport du comité de suivi.



Créer un comité d'experts indépendants pour approuver la programmation des travaux du MTMDET, qui s'élèvent à 4,6 milliards sur deux ans. SUIVI : PARTIEL

Le Ministère a créé un comité de trois experts qui fournissent un avis sur la programmation et dont le rapport a été rendu public. Même si ce rapport « témoigne d'un travail sérieux », le comité de suivi regrette que le mandat de ce comité d'experts soit limité à un avis, et ne s'étende pas à l'approbation de la programmation.

Réduire les délais d'autorisation pour l'installation de centrales d'enrobage mobiles afin de favoriser la concurrence dans le domaine de l'asphaltage. SUIVI : APPLIQUÉ

Depuis le 23 mars dernier, les centrales mobiles pour fabriquer de l'asphalte peuvent être installées dans un secteur sans autorisation préalable pour une période allant jusqu'à un an. Le comité de suivi note toutefois que le Ministère a refusé de lui transmettre la Directive relative à l'adjudication des contrats de fabrication et de pose d'enrobé, « censée donner suite à la recommandation 4 ».

Inciter les donneurs d'ouvrage (comme le Ministère) à « reconnaître les produits similaires homologués par d'autres juridictions » et analyser les exigences qui limitent le nombre des concurrents potentiels dans leur approvisionnement. SUIVI : AUCUN

Un comité directeur d'homologation a été mis en place au MTMDET, mais aucun résultat concret n'a été mis en lumière ni divulgué par le gouvernement.