La dissidence du rapport de la commission Charbonneau a été précédée d'une période de vives tensions entre les commissaires chargés de faire la lumière sur la corruption et la collusion dans l'industrie de la construction au Québec.

C'est ce que révèlent des courriels obtenus par Radio-Canada et dont des extraits ont été diffusés ce matin.

«Tu devrais te regarder le nombril avant de faire la morale aux autres», a écrit Renaud Lachance à France Charbonneau le 30 août dernier, en réponse à un message de cette dernière affirmant qu'«il y aura bientôt un mois que tu as décidé de m'ignorer. Pourtant, je te rappelle que notre devoir va au-delà de nos différends».

Les documents obtenus par la télévision publique montrent aussi que le commissaire Lachance a qualifié de «ridicules» certains passages d'une version préliminaire du rapport, après que France Charbonneau lui ait demandé des commentaires sur celui-ci.

Quant à un passage critique envers une rencontre entre Line Beauchamp et des entrepreneurs, il s'est fait encore plus cassant: «Ridicule. Il ne faut avoir rien vécu dans sa vie pour écrire ceci».

L'analyse des documents fait dire à Radio-Canada que «le commissaire Renaud Lachance a voulu atténuer les critiques envers les partis politiques dans le rapport de la commission Charbonneau, en particulier au sujet du Parti libéral du Québec».

Le PQ veut entendre Lachance et Charbonneau en commission parlementaire

Le Parti québécois veut mandater des députés pour faire la lumière sur les raisons qui ont mené le commissaire Renaud Lachance à se dissocier de certaines conclusions du rapport de la Commission Charbonneau.

Le leader parlementaire du PQ, Bernard Drainville, a écrit une lettre à ce sujet au président de la commission des institutions de l'Assemblée nationale, Guy Ouellette.

M. Drainville constate dans sa lettre que les travaux et le rapport de la Commission d'enquête sur l'industrie de la construction (CEIC), présidée par la juge France Charbonneau, suscitent des questions.

Le député péquiste fait notamment référence à la dissidence exprimée par M. Lachance au sujet des liens entre des contrats publics et le financement des partis politiques provinciaux.

Cette demande du PQ, transmise jeudi à M. Ouellette, survient alors que Radio-Canada a diffusé des extraits de courriels au ton acrimonieux envoyés par M. Lachance à Mme Charbonneau.

Dans sa lettre, M. Drainville réclame que les deux commissaires soient entendus séparément dans les plus brefs délais par la commission, où les députés libéraux sont majoritaires.

«Nous croyons qu'il est de notre responsabilité de faire en sorte que toutes les questions soulevées par les travaux et le rapport de la CEIC obtiennent réponse, particulièrement quant aux raisons qui ont poussé M. Lachance à exprimer sa dissidence concernant une partie importante des conclusions du rapport», écrit le leader parlementaire du Parti québécois.

En entrevue, M. Drainville a estimé que cette démarche servira notamment à établir si des pressions politiques ont été exercées durant les travaux de la commission.

«Est-ce que des pressions ont été exercées? J'aimerais bien qu'on me rassure là-dessus», a-t-il dit.

Selon M. Drainville, les courriels démontrent que les objections émises par M. Lachance concernaient des représentants du Parti libéral dont l'ex-premier ministre Jean Charest, les ex-ministres Nathalie Normandeau et Line Beauchamp ainsi que l'homme d'affaires Marc Bibeau.

«Si on fait l'addition de tous ces commentaires-là, on a l'impression qu'il voulait atténuer les agissements du Parti libéral et le rôle joué par certains acteurs-clés, a-t-il dit. C'est ce qui me fait dire que les libéraux sont morts de rire.»

Le gouvernement qualifie la démarche de l'opposition péquiste d'«exercice démagogique spectaculaire», visant uniquement à miner les recommandations de la Commission Charbonneau.

Le responsable des relations avec les médias au cabinet du premier ministre Philippe Couillard, Charles Robert, a réagi jeudi au nom du gouvernement pour dire qu'il ne revenait pas au conseil exécutif, mais plutôt à la commission des institutions de l'Assemblée nationale, d'évaluer la proposition de M. Drainville et d'y donner suite ou non.

Sauf que la commission est formée de 13 députés, dont sept libéraux, qui forment donc la majorité.

Aux yeux du gouvernement, la proposition est carrément «immonde», selon M. Robert. L'opposition péquiste cherche à utiliser la commission des institutions «à des fins partisanes», «du jamais vu», estime le porte-parole.

Il conclut que M. Drainville veut que les parlementaires s'immiscent dans les travaux de la Commission Charbonneau, censée être indépendante de toute influence politique. «C'est inacceptable. C'est pire qu'inacceptable, c'est répréhensible», a-t-il commenté, en entrevue téléphonique.

Le député de Québec solidaire (QS) Amir Khadir a affirmé jeudi que son parti appuiera l'initiative du PQ, même s'il ne pourra participer à la décision, n'étant pas membre de la commission parlementaire.

À la lumière des informations qui circulent au sujet de leurs échanges de courriels, M. Khadir a estimé que la dissidence de M. Lachance est discréditée.

«M. Lachance s'est discrédité avec son ton injurieux à l'égard de la juge Charbonneau», a-t-il dit en entrevue, en référant à certains passages des courriels.

Selon le député de QS, M. Lachance commet des erreurs graves dans ses échanges avec Mme Charbonneau en omettant des témoignages qui contredisent ses affirmations.

M. Khadir cite notamment un extrait des courriels où le commissaire affirme qu'une seule source a identifié l'homme d'affaires Marc Bibeau comme responsable du financement du PLQ alors que d'autres témoignages allaient dans le même sens.

«Tout cela jette un sérieux doute sur son jugement», a-t-il dit.

Devant les passages où M. Lachance insiste pour retirer le nom M. Charest et retrancher des passages touchant l'ex-ministre des Affaires municipales Nathalie Normandeau, M. Khadir s'interroge sur ses motivations.

«Que ce soit volontairement ou par une espèce d'obsession ou un entêtement que je m'explique difficilement, à vouloir tout limiter et tout atténuer, il donne la fâcheuse impression qu'il veut protéger les libéraux ou Jean Charest», a-t-il dit.

La Coalition avenir Québec, qui réserve ses commentaires pour vendredi, a signifié son appui à la démarche du PQ.

- Avec Alexandre Robillard, La Presse Canadienne