«Il faut saisir l'occasion qui nous est donnée de changer les choses. Ce n'est que collectivement en agissant de façon responsable qu'ensemble, nous réussirons à faire du Québec une société où l'éthique est aux premières loges et où la collusion et la corruption n'ont plus leur place.»

>>> L'intégral du discours de France Charbonneau

C'est sur cette déclaration que la juge France Charbonneau a clôturé aujourd'hui deux ans et demi d'audiences publiques de la Commission d'enquête sur l'octroi des contrats publics dans l'industrie de la construction. La présidente et le commissaire Renaud Lachance vont maintenant se retirer des caméras pour rédiger leur mémoire qui sera rendu au printemps 2015.

Durant son discours qui a duré une trentaine de minutes, la juge Charbonneau souligné qu'il était « impératif » que la culture institutionnelle québécoise rejette toute forme de corruption et de collusion, quel qu'en soit l'échelon.

« La dénonciation ne doit plus être perçue comme un acte de trahison, mais être fortement encouragée comme un geste de grande loyauté envers l'organisation, la fonction publique et toute la société en général », a-t-elle déclaré.

Mme Charbonneau a rappelé que le rôle de la Commission était de faire la lumière sur des stratagèmes frauduleux et non de prouver la culpabilité d'individus.

« La Commission a dû se restreindre et faire des choix. C'est ainsi qu'elle a sélectionné les cas les plus probants qui illustrent le mieux la façon dont les problèmes de collusion, de corruption et d'infiltration par le crime organisé sont susceptibles de se présenter dans les contextes les plus variés », a-t-elle expliqué. « C'est pourquoi, une fois le stratagème démontré par une ou des personnes, il nous fallait passer à autre chose pour réussir à enquêter sur tous les autres aspects de notre mandat. »

Après avoir remercié les membres de son équipe, elle a souligné le travail des journalistes d'enquête. «Nous saluons le courage des journalistes d'enquête, trop peu nombreux à effectuer un travail aussi fondamental dans une société libre et démocratique. Ils agissent comme des chiens de garde et tout doit être mis en oeuvre pour leur permettre d'effectuer leur travail, libre d'entraves, en toute transparence et en toute impartialité.»

Elle a aussi tenu à rappeler que même si l'industrie de la construction a été « éclaboussée » et que la fonction publique a été « ternie », ce ne sont pas toutes les personnes qui y travaillent qui sont malhonnêtes.

« Plusieurs personnes ont rapporté que la quête du Québec vers l'intégrité est citée en exemple à travers le monde. Les Québécois ont fait preuve de beaucoup de courage, ils peuvent donc être fiers et garder la tête haute. »

Le Barreau et le Procureur général comme derniers témoins

Vendredi matin, le Barreau du Québec et le Procureur général du Québec ont été les derniers à plaider leur cause devant la commission d'enquête.

Comme d'autres témoins avant lui, le bâtonnier Bernard Synnott a demandé une meilleure protection des «dénonciateurs éthiques», c'est-à-dire ceux qui dénoncent les fraudes, malversations, cas de collusion ou corruption. La preuve a démontré que ceux-ci subissent souvent des répercussions à cause de leur dénonciation, notamment la perte de leur emploi et même la difficulté d'être réembauché ailleurs dans l'industrie.

Le bâtonnier a également plaidé pour qu'on facilite le recouvrement des sommes dont l'État a été privé, notamment par des règles particulières quant aux délais de prescription.

Le Procureur général du Québec, quant à lui, a assuré que le gouvernement s'engageait d'avance à adopter les meilleures pratiques en matière de lutte contre la collusion et la corruption.

Son représentant, Me Benoît Boucher, a souligné du même souffle que le gouvernement du Québec était conscient du fait que la lutte contre la corruption et la collusion «demeure un défi de tous les instants».

- Avec Lia Lévesque, La Presse Canadienne

Chronologie des événements

Novembre 2011: Le premier ministre de l'époque, Jean Charest met sur pied la commission, après des mois de pression publique.

Mai 2012: La juge France Charbonneau prononce son allocution d'ouverture.

Juin 2012: Les premiers témoins se présentent, notamment Jacques Duchesneau, ancien visage de la lutte contre la corruption.

Septembre 2012: L'ex-agent du FBI Joseph Pistone témoigne de l'implication de longue date de la mafia dans l'industrie de la construction. Il avait infiltré la mafia sous le nom «Donnie Brasco».

Octobre 2012: L'ancien entrepreneur Lino Zambito livre un témoignage-choc lors duquel il révèle l'existence d'une taxe de la mafia sur les projets de construction, d'une part versée aux partis municipaux et de pots-de-vin versés à des responsables corrompus à l'hôtel de ville.

Novembre 2012: Gérald Tremblay quitte ses fonctions à la mairie de Montréal après que des témoignages eurent indiqué qu'il avait fermé l'oeil sur du financement illégal.

Mars 2013: Le gouvernement prolonge le mandat de la commission jusqu'au 19 avril 2015.

Avril 2013: Gérald Tremblay est appelé devant la commission et livre sa version des faits.

Janvier 2014: Un enregistrement est entendu dans lequel des dirigeants de syndicats affirment avoir une entente avec le mari de Pauline Marois, alors chef du Parti québécois, afin que celle-ci s'oppose à la création de toute commission d'enquête.

Janvier 2014: France Charbonneau publie son rapport d'étape.

Janvier 2014: L'ex-président de la FTQ, Michel Arsenault, témoigne.

Mai 2014: L'ancienne ministre libérale des Transports, Julie Boulet, devient la plus haute placée du gouvernement à témoigner.

Juin 2014: L'ex-vice-première ministre Nathalie Normandeau témoigne.

Septembre 2014: L'homme d'affaires Antonio Accurso, ancien magnat de la construction au centre de la commission, témoigne devant la juge.

Septembre 2014: Le dernier témoin se présente devant la juge.

Novembre 2014: France Charbonneau prononce son allocution de clôture.

19 avril 2015: Date limite du dépôt du rapport final.