Il s'appelle Domenico Antonio Vincenzo Accurso, mais tout le Québec le connaît sous le nom de Tony Accurso. Ce nom résume, depuis cinq ans, tout ce qui va mal dans l'industrie de la construction et plus largement, dans l'octroi de contrats publics. La commission Charbonneau entendra le témoignage de l'entrepreneur à compter de mardi prochain. Des terrains de football de sa jeunesse aux grands chantiers québécois, La Presse brosse le portrait de cet homme au «charme redoutable», que ses proches décrivent comme un «bélier».

Personne ne dicte sa conduite à Tony Accurso. Jusqu'à ce que ses relations étroites avec des leaders syndicaux et des politiciens ne soient éventées dans les médias, au tournant de 2009, M. Accurso faisait rouler sa business loin des projecteurs. Et en cette ère d'avant la commission Charbonneau, personne ne convoquait Tony Accurso.

Ce géant de la construction, dont l'empire, deux fois plus grand que celui de son plus proche concurrent, était au zénith, avec les Louisbourg, Simard-Beaudry et Gastier, pour ne citer que ces entreprises. Il n'avait de cesse de soigner ses relations. On courait le rencontrer, qui au Sheraton de Laval, où il avait l'habitude de déjeuner tôt le matin, qui à ses bureaux de Saint-Eustache, qui à son resto-bar, le Tops.

«Tony Accurso était comme un aimant. Il était influent et on voulait tous être en contact avec lui», raconte une personne qui le côtoie depuis au moins 35 ans.

Un ancien organisateur libéral qui ne souhaite pas être identifié reconnaît s'être déplacé régulièrement pour rencontrer Tony Accurso. Il n'a pas précisé la teneur des discussions qu'il avait eues avec cet «homme qui peut tout arranger», mais il a mentionné un fait étonnant. «Quand je le rencontrais, je savais que j'étais enregistré», a-t-il affirmé à La Presse.

Des sources policières affirment aussi, sur la foi du témoignage d'autres personnes, que M. Accurso conservait des traces de ses diverses rencontres. La police a tenté en vain de trouver ces enregistrements.

Joue contre joue

En revanche, la police et la commission Charbonneau détiennent certaines photos qui ne trompent pas sur la proximité qu'entretenait M. Accurso avec le monde politique. La Presse a pris connaissance de quelques-uns de ces clichés, dont un sur lequel l'entrepreneur et l'ancien premier ministre Jean Charest, joue contre joue, affichent un large sourire.

La Presse n'a pu déterminer quand cette rencontre a été immortalisée. Cette photo sera vraisemblablement rendue publique lors du passage de M. Accurso à la commission Charbonneau.

La Presse a sollicité Jean Charest, qui n'a émis aucun commentaire.

Une autre photo montre l'entrepreneur en compagnie de l'ancien premier ministre Robert Bourassa. C'est dire que Tony Accurso cultive depuis longtemps ses liens avec le Parti libéral du Québec (PLQ). Un autre cliché montre Tony Accurso avec Thomas Mulcair, qui a été ministre libéral, avant son passage sur la scène fédérale avec le NPD, en 2007. M. Mulcair a refusé de faire des commentaires sans avoir vu la photo.

Le charme redoutable

Les accolades, les poignées de main chaleureuses, les bons mots, les coups de téléphone personnels, les sourires et les invitations amicales, notamment pour se détendre à bord de son yacht de luxe, le Touch, font partie de l'arsenal de séduction de Tony Accurso. Peu importe que les personnes le connaissent depuis longtemps ou qu'elles ne l'aient croisé que quelques fois, toutes mentionnent son «charme redoutable».

«C'est le meilleur être humain que je connaisse. Il est comme un frère pour moi. Si tu as des problèmes émotifs, il va t'écouter et il va essayer de te comprendre», raconte Bernard Girard, directeur général de l'Union des opérateurs de machinerie lourde (local 791) à la FTQ-Construction. Lorsque le fils de M. Girard est décédé, à 20 ans, Tony Accurso a été un véritable soutien. «Pour moi, c'est un gars simple. Malgré son succès, c'est un gars [qui a les pieds sur terre]», affirme-t-il tout en réitérant son appui à son ami malgré les ennuis judiciaires de celui-ci.

L'avocat Louis Demers, qui a longtemps épaulé Tony Accurso dans les dossiers de litige civil, présente une image flatteuse de l'entrepreneur dans son livre Scènes d'une époque trouble. Carnet d'un avocat, publié il y a quelques mois, en dénonçant «l'accursite aiguë» causée, selon lui, par les médias. Selon Me Demers, Tony Accurso est un être «sympathique» et «très québécois». Il va même jusqu'à affirmer que son client, bien qu'il soit un «bon libéral», a voté Oui au référendum de 1995 par amitié pour le président de la FTQ d'alors, Clément Godbout.

C'est d'ailleurs lors d'un dîner avec des «gens du milieu de vie syndicale» que Me Demers avait organisé pour le Parti québécois et son chef d'alors, Jacques Parizeau, qu'il fait la rencontre de Tony Accurso pour la première fois.

À cette époque, les liens de M. Accurso avec la FTQ et le Fonds de solidarité sont solides. Le Fonds a soutenu financièrement le développement du groupe Accurso notamment pour l'acquisition d'Hyperscon en 1990, Simard-Beaudry en 1999 et Beaver Asphalte en 2000. Au fil des ans, 114 millions ont ainsi été injectés - sans compter les garanties de prêts -, avec un rendement annuel de 12,8%.

Gilles Audet, qui a été conseiller politique auprès du président de la FTQ et du Fonds, Michel Arsenault, estime que la relation d'affaires avec Tony Accurso a été un choix éclairé malgré les effets, aujourd'hui, sur la réputation de la centrale syndicale. Comme d'autres leaders syndicaux, M. Audet a séjourné sur le Touch. Mais il ne s'agit pas de copinage malsain, selon lui.

«Il n'y avait pas de cadeaux faits à Tony Accurso. Il y avait un vrai travail d'analyse avant de décider d'investir», explique-t-il. «Accurso, ce n'était pas le diable. Ce que l'on connaissait de lui, ce n'était que du positif. C'est des personnes comme lui qui ont aidé le Fonds», ajoute M. Audet.

Sentiment d'appartenance

On retrouve cette même fierté chez les employés des entreprises Accurso. Un haut dirigeant qui a travaillé 15 ans auprès de l'entrepreneur, qui a bien voulu témoigner à condition que son nom ne soit pas lié sur la place publique à celui d'Accurso, souligne que la plus belle preuve de la loyauté des travailleurs, c'est qu'ils sont restés en poste, malgré les déboires de M. Accurso. «C'est ce qui a sauvé l'entreprise», croit-il.

Même lorsqu'une partie de l'empire a été vendue et que la bannière Hexagone est apparue il y a un an, «la plupart des employés croyaient que Tony avait été traité injustement», raconte une personne au sein d'Hexagone.

La mise sur pied de la nouvelle entreprise a permis aussi de découvrir à quel point «il n'y avait pas de différence entre Tony Accurso et ses compagnies». Cette personne précise qu'une trentaine d'employés ont été remerciés après la transaction, car leurs tâches (entretien ménager, travaux d'horticulture, par exemple) étaient liées à la vie personnelle de l'ancien patron.

Pactiser avec le diable

Mais l'entrepreneur a aussi ses détracteurs. Ils le disent dur et affirment qu'il ne fait aucun compromis.

Un homme d'affaires qui s'est frotté à la méthode Accurso et qui ne souhaite pas être identifié, de peur de représailles, ne cache pas son amertume. Créer des liens avec Tony Accurso s'apparente à conclure «un pacte avec le diable», estime-t-il.

«Tony aime coincer les gens parce que c'est un control freak», juge cet homme. «L'information qu'il détient lui donne du pouvoir sur les gens. Une fois que tu es tombé dans ses filets, tu lui es redevable et il est exigeant», ajoute-t-il.

Un ancien ministre libéral qui a demandé de rester anonyme raconte une rencontre fortuite qu'il a eue avec Tony Accurso dans un couloir du Centre Bell. «Il est venu me faire l'accolade sur une joue et sur l'autre, et je me suis dit: «Mais qu'est-ce qu'il est en train de faire, le gars, là?» Il te pogne la tête et il t'embrasse sur un bord et sur l'autre et il te demande comment ça va et te dit qu'il est donc content de te voir. Mais là, il y a plein de monde autour de toi! Et c'est quoi l'image qu'il vient de projeter? Que je suis dans sa petite poche et que c'est un bon contact. C'est comme ça que Tony Accurso fait de la politique», résume l'ancien homme politique.

L'ex-entrepreneur Lino Zambito n'est pas tendre à l'endroit de Tony Accurso. M. Zambito a reconnu devant la commission Charbonneau avoir trempé dans la corruption, la collusion, le financement politique illégal et même avoir fait appel au parrain de la mafia italienne, le défunt Vito Rizzuto, pour obtenir des contrats publics.

Les deux hommes se sont connus alors que M. Zambito était encore étudiant en droit à l'Université de Sherbrooke et qu'il accompagnait son père dans des négociations d'affaires avec Tony Accurso. À quelques reprises, le jeune Lino s'était retrouvé à partager le repas de famille du dimanche soir à la résidence Accurso de Deux-Montagnes ou à prendre un verre ou deux au Tops.

«Sous ses airs charmants et amicaux, Tony est un hypocrite», lance-t-il sans ambages. Lino Zambito dénonce l'appétit commercial de Tony Accurso, qu'il juge démesuré, ainsi que son caractère de feu quand un adversaire ose se manifester. Selon lui, il s'agit du «power trip» d'un homme «brillant» mais «entêté». «Tony jouait dans les ligues majeures avec des contrats de 30 à 40 millions, mais il pouvait "gosser" pour un projet de 500 000$, soutient M. Zambito. Tout était à lui. Il considérait que le territoire lui appartenait.»

L'arbitre

Et pour cause, ont expliqué des personnes qui le suivent de près depuis quelques décennies. Tony Accurso ne serait pas seulement devenu au fil des ans un roi de la construction, mais bien le rouage incontournable de la grande machine politico-syndicalo-industrielle du Québec.

«C'était un facilitateur, comme un homme-orchestre, un arbitre qui aidait les entrepreneurs avec des problèmes de toutes natures, syndicaux ou financiers; un coup de téléphone pour accélérer la subvention promise ou pour éviter la perturbation d'un chantier, par exemple. En contrepartie, il pouvait aller partout où il voulait. Il avait accès à tous les territoires. C'était le deal», note un proche qui le rencontre encore régulièrement. «Quand Tony voulait un contrat, tout le monde se tassait», ajoute-t-il.

À la commission Charbonneau, des extraits d'écoutes électroniques ont été révélateurs à cet égard. Lors d'une conversation captée par la police entre Michel Arsenault de la FTQ et Tony Accurso, ce dernier souhaite que son opposition à l'ouverture des marchés publics aux entreprises étrangères soit transmise à Jean Charest. Dans un extrait subséquent, Michel Arsenault s'exécute et discute avec le premier ministre.

Générosité calculée

Pour l'ancien syndicaliste Ken Pereira, «la peur d'une mauvaise image est pire» pour Tony Accurso que «la perte de millions de dollars». «C'est un homme très discret qui ne se vantait jamais, généreux aussi», dit M. Pereira.

En plein coeur de l'opération policière Diligence visant l'infiltration du crime organisé à la FTQ-Construction, Ken Perreira a été en contact avec des enquêteurs qui s'intéressaient de près à Tony Accurso. Selon M. Pereira, Tony Accurso jouait sur plusieurs tableaux en même temps et «plaçait [ainsi] ses cartes» pour s'assurer de «garder la main haute sur la FTQ et le Fonds». Dans ce contexte, M. Pereira représentait un intérêt pour l'entrepreneur. «J'étais la wild card de Tony», soutient Ken Pereira.

Ce dernier raconte que pour prouver à la police sa proximité avec Tony Accurso, il était allé le rencontrer à ses bureaux. Il en est ressorti avec une enveloppe contenant 10 000$ comptant.

«Les deux policiers m'attendaient à la sortie et j'ai lancé l'argent sur le siège de leur voiture. Ils ont été surpris. [...] Une semaine plus tard, j'ai retourné l'argent. C'est tout», a-t-il confié à La Presse. À ses yeux, cet épisode illustre l'esprit calculateur de M. Accurso.

«Coupé du monde»

Mais tout cela, c'était avant que le nom Accurso ne soit connu du grand public et que tout ne se mette à dégringoler. Une personne proche d'une des enquêtes concernant Tony Accurso et qui a rencontré l'entrepreneur a expliqué à La Presse combien cet homme qu'il qualifie de «machiavélique» est aujourd'hui isolé.

«Il m'a confié: «Ces jours-ci, je n'ai plus d'amis.» Il y a huit ans, son agenda était booké. Aujourd'hui, plus personne ne l'appelle. Il est coupé du monde», a-t-il relaté.

Le témoignage de Tony Accurso qui doit débuter mardi à la commission Charbonneau pourrait produire quelques flammèches, selon Lino Zambito. «Il n'a jamais voulu être sous les projecteurs. C'est un impulsif et ce n'est donc pas le genre de gars à se retenir. C'est un batailleur. Tony pourrait mouiller bien du monde», laisse-t-il tomber.

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La Presse a demandé une entrevue à Tony Accurso en juin dernier et a réitéré sa demande par téléphone quelques semaines plus tard. En juillet, une nouvelle demande a été faite auprès de son avocat, Me Louis Belleau, qui est restée lettre morte.