Des entrepreneurs et ingénieurs cités devant la commission Charbonneau ont déjà détenu des certificats de solliciteur de fonds pour le Parti libéral du Québec, a-t-on appris mercredi.

Le procureur de la commission, Me Paul Crépeau, a déposé quelques-uns de ces certificats de solliciteur de fonds pour le PLQ datant de 2007 et 2009.

Parmi ces solliciteurs, on retrouve les entrepreneurs en construction Paolo Catania - on ignore s'il s'agit de celui de CatCan ou de Constructions Frank Catania -; Giuseppe Borsellino, de Petra; Giuseppe Borsellino, de Garnier; Lino Zambito, d'Infrabec; des représentants de firmes de génie France Michaud et Marc-Yvan Côté, de chez Roche; Rosaire et Jean-Pierre Sauriol, de Dessau; et Riadh Ben Aïssa, de SNC-Lavalin, actuellement détenu en Suisse.

Après avoir énuméré quelques-uns de ces noms, Me Crépeau a demandé des explications à Violette Trépanier, qui a été directrice du financement du PLQ pendant une dizaine d'années, incluant la période où ces certificats de solliciteur ont été émis.

Ce sont «tous des gens qui ont été mentionnés, soit dans des enquêtes, ici devant la commission; certains sont accusés. Il n'y a pas quelque chose de troublant pour vous de constater qu'il y ait plusieurs de vos solliciteurs en 2009 qui sont liés à des enquêtes, soit de prête-noms ou d'autres activités. Dans le cas de M. Ben Aïssa, on parle de blanchiment d'argent et de fraude. Ça ne vous inquiète pas, ça, un peu?» a demandé le procureur «Je trouve ça troublant. Je suis extrêmement déçue», a répondu l'ancienne ministre libérale sous Robert Bourassa.

Les documents émanant du Directeur général des élections ont démontré que le Parti libéral du Québec avait récolté plus de 95,1 millions $ de 1996 à 2011, soit durant les années couvertes par le mandat de la commission d'enquête.

Mme Trépanier, qui a été directrice du financement de 2001 jusqu'au 31 décembre 2012, a soutenu qu'elle ignorait ce montant. Elle a également affirmé qu'elle ne faisait pas un suivi pour savoir quel métier avaient les donateurs, à savoir s'ils étaient ingénieurs ou entrepreneurs susceptibles d'obtenir un contrat du gouvernement.

«Pour vous, c'était "on ramasse l'argent, peu importe d'où il vient"?» lui a lancé la juge France Charbonneau.

«De façon légale, oui», a répondu sans broncher Mme Trépanier.

Me Crépeau a souligné que selon les données compilées par la commission d'enquête sur la provenance des dons reçus, pour chaque dollar donné au PLQ par un vétérinaire, par exemple, ou un autre professionnel touchant un bon salaire, un ingénieur en donnait 100 $. Pourquoi les ingénieurs donnaient tant au PLQ, lui a demandé Me Crépeau.

«Je ne peux l'expliquer», a répondu Mme Trépanier.

La responsable du financement a continué de nier que le PLQ ait sollicité des firmes de génie ou des entrepreneurs, martelant que le parti sollicitait des personnes dans ces firmes qui avaient un réseau de contacts.

Me Crépeau a alors déposé devant la commission un courriel émanant d'une responsable du bureau de comté de l'ex-ministre responsable des Aînés, Marguerite Blais, dans lequel elle écrit : «Bonjour Violette, voici le nom des compagnies tel que prévu». Et sur une liste d'invités à une activité de financement du PLQ, on peut lire le nom des firmes : BPR, Roche, SNC-Lavalin, Dessau, Cima+, Tecsult et autres firmes de génie.

Mme Trépanier s'est lancée dans une longue explication, affirmant que la ministre Blais avait peine à recueillir des fonds.

La juge France Charbonneau l'a alors interrompue : «tout ce qui ressort de ces courriels-là, ce sont les noms des compagnies. Il n'y a même pas de noms attachés à la compagnie, c'est juste la compagnie», a-t-elle tonné.

Mme Trépanier a eu cette réponse étonnante : «Malheureusement, si c'était à refaire aujourd'hui, on ferait ça différemment. On referait les mêmes choses, mais on les appellerait autrement. On parlerait des personnes.»

Me Crépeau est revenu à la charge avec un autre exemple : cette fois, avec une liste de dons. Les dons de 200 $ y étaient effectivement associés à des noms de personnes, mais les dons de 2000 $ et 4000 $ y étaient accolés à des noms de firmes.

Chèque avec autocollant

Me Crépeau a aussi déposé en preuve un chèque au nom de l'Association libérale de Sherbrooke, déposé par le PLQ qui, étonnamment, comportait un nom qui avait été masqué par un autocollant. En fait, il existe deux chèques en un, à la même date du 20 novembre 2008, portant le même numéro, l'un au nom de Dave Gagnon, l'autre au nom de Jean-Robert Pronovost.

«Quand il est rendu au nom de Gagnon, il y a un collant qui a été mis par-dessus le nom de Pronovost, pour cacher le nom de Pronovost et il est rendu au nom de Gagnon. Mais la signature sur les deux chèques est toujours celle de Jean-Robert Pronovost», a relaté Me Crépeau. Ensuite, le PLQ a émis une carte de membre au nom de M. Gagnon.

Mme Trépanier a rejeté le blâme sur une employée du bureau qui «n'a pas vu le stratagème sur le chèque». Elle a ajouté que «ça a été déposé par inadvertance» par le parti. «Ce chèque-là est arrivé tout seul» au parti, a-t-elle avancé. «C'est une grosse erreur cléricale. Ça a passé; on ne l'a pas vu.»

Me Crépeau a relevé un autre problème dans des dons faits au PLQ : cette fois, dans un échange de courriels entre Mme Trépanier et le dg du parti Robert Parent, les deux parlent du don d'un militant de longue date, Paul Pantazis, qui dépasse de 160 $ la limite permise.

Au lieu de refuser et de rembourser l'excédent, Mme Trépanier a elle-même demandé s'il était possible d'«attribuer» ce don «à quelqu'un» d'autre qui n'a pas atteint la limite permise.

Dans les relevés, le don a finalement été attribué à Kostia Pantazis, sa fille. Or, selon la loi, les dons sont censés être faits à titre personnel, à partir de ses biens personnels.

Mme Trépanier a objecté qu'il était permis de transférer de petits montants lorsqu'il s'agit d'un compte conjoint entre époux. Or, Mme Pantazis n'était pas l'épouse et ne résidait même pas à la même adresse que Paul Pantazis.

«C'est vous la gardienne des règles du financement. Et là, dans un courriel, on s'aperçoit que vous transférez des donations d'un à l'autre, comme ça, alors que ce n'est pas permis par la loi», lui a lancé Me Crépeau.

Mme Trépanier a eu peine à se dépêtrer dans cette histoire, affirmant d'abord qu'elle avait «présumé» qu'il s'agissait de son épouse. Or, dans l'échange de courriels avec elle, il est écrit en toutes lettres «sa fille». Finalement, elle a laissé tomber qu'un tel cas était «exceptionnel» et que «ça n'a pas été fait sciemment».

Ajournement

Avec le témoignage de Mme Trépanier ont pris fin les audiences du printemps de la commission d'enquête.

La juge Charbonneau a annoncé que les audiences reprendront «au plus tard le 2 septembre», mais peut-être dès le 25 août, car ses travaux «sur les faits» ne sont pas terminés. Il reste encore «deux à trois semaines» d'audiences sur les faits et stratagèmes à tenir, a-t-elle précisé.

Après ces audiences, la commission entendra des représentants d'organismes ayant un lien avec son mandat, puis des experts qui viendront exposer des pistes de solutions.