Témoin de corruption et de falsification de factures sur le chantier de l'autoroute 40, l'ingénieure Karen Duhamel s'est fait rétrograder et répondre qu'elle avait « une mauvaise attitude » lorsqu'elle a dénoncé la situation à ses patrons chez Genivar. Elle s'est aussi heurtée à des portes closes lorsqu'elle a voulu porter plainte au syndic de l'Ordre des ingénieurs.

Karen Duhamel, qui a témoigné mardi après-midi devant la commission Charbonneau, estime que sa carrière a souffert de cet épisode durant près de 10 ans.

À sa sortie de l'école, Duhamel a été embauchée à la firme de génie-conseil Genivar.

Sur le chantier de réfection de l'autoroute 40, qui était sous la supervision du consortium Génivar-Tecsult, Duhamel était responsable de mesurer les quantités de béton utilisées. Elle devait ensuite rentrer les chiffres dans les formulaires de facturation du ministère des Transports (MTQ). À un moment donné, elle s'est rendu compte que les quantités qu'on lui demande de transmettre dans le logiciel ne correspondent pas à ses calculs. Elle a alors décidé de rentrer les « bons chiffres ».

Duhamel travaillait sous la supervision de Noubar Semerjian. « Il a déjà tâté le terrain [pour que je change les chiffres] mais il n'en était pas question », a-t-elle déclaré.

Par la suite, son homologue de la firme Tecsult, l'ingénieur Yanick Gourde, l'informe que désormais, Semerjian ne veut plus qu'elle utilise le logiciel et qu'il en sera le seul responsable.

Scandalisée, Duhamel informe ses patrons Jocelyn Drouin et Jean-François Cloutier.

Plus tard, Duhamel est témoin d'un épisode où un ingénieur de la firme qui réalisait la réfection de la route, Grands Travaux Soter (GTS), Patrice Cormier, est arrivé au bureau de Semerjian avec un « motton d'argent dans les mains ». « La secrétaire lui a même dit : tu aurais pu mettre ça dans une enveloppe », s'est rappelé le témoin.

Duhamel décide alors de porter plainte au syndic de l'Ordre des ingénieurs contre Noubar Semerjian et Guy Hamel, l'ingénieur du MTQ responsable du chantier. « On m'a répondu qu'il faut avoir des preuves solides. Ils m'ont dit que je n'avais aucun document tangible. »

Elle retourne aussi voir ses patrons pour dénoncer la situation. On lui répond alors qu'elle devrait penser à son avenir et qu'elle a une mauvaise attitude. Elle sera par la suite rétrogradée.

Karen Duhamel a décidé de quitter Genivar, car l'entreprise ne correspondait pas à ses valeurs. Elle a du mal à se trouver des emplois car son ex-patron Jean-François Cloutier lui a fait des mauvaises références. « J'ai passé mon temps à recommencer au bas de l'échelle », a-t-elle dit. « Avoir su que ça freinerait 10 ans de ma carrière, j'y aurais pensé avant de m'ouvrir la trappe. »

Dépassements de coûts

Initialement, le contrat de réfection de l'autoroute 40 devait coûter 35 millions. La facture finale du projet s'est élevée à 40 millions.

Au total, 28 avenants ont été accordés par le MTQ sur ce projet. Dans son témoignage devant la commission Charbonneau il y a quelques semaines, le fonctionnaire corrompu Guy Hamel, qui approuvait les extras a dit qu'entre 1 à 1,5 million d'extras étaient plus ou moins justifiables.

Guy Hamel a déclaré devant la commission qu'en février 2004, GTS lui a offert une croisière dans les Caraïbes. Un cadre de GTS lui a remis 5000$ pour payer son voyage. Hamel a ajouté qu'un responsable de Genivar lui avait aussi offert 1500$ pour ses dépenses durant le voyage.

Le témoignage de Julie Boulet reporté à demain

Invoquant laconiquement un « problème d'horaire» à la dernière minute, la commission Charbonneau a reporté le témoignage de l'ex-ministre des Transports, Julie Boulet, qui devait se présenter à la barre cet après-midi. Si tout va bien, elle sera entendue, demain matin, en milieu d'avant-midi.

Lorsqu'elle arrivera dans les locaux de la commission, Julie Boulet aura le droit d'entrer par une porte soustraite à l'oeil des caméras.

Julie Boulet est députée de Laviolette. Elle a été ministre des Transports du 18 avril 2007 au 10 août 2010 et ministre déléguée aux Transports du 10 septembre 2003 au 18 avril 2007. Élue lors du dernier scrutin provincial, elle n'a pas été retenue pour faire partie du conseil des ministres.

Julie Boulet est la première élue provinciale à être appelée à la barre de la commission et la deuxième ministre des Transports.

Julie Boulet sera précédée de l'ingénieur Yanick Gourde, ex-employé de Tecsult. Son nom a été invoqué par le témoin Karen Duhamel dans son récit sur la falsification des quantités de béton sur le chantier de l'autoroute 40.