Alors qu'il cumulait les chapeaux de député libéral et de détenteur de parts dans une entreprise d'asphalte, David Whissell aurait demandé à un directeur du ministère des Transports (MTQ) de changer son mode d'octroi des contrats de pavage.

L'ancien directeur de la région de Laurentides-Lanaudière, Mario Turcotte, qui témoigne aujourd'hui devant la commission Charbonneau, a considéré cette demande comme de l'ingérence.

Il existe deux types de contrats d'asphalte au MTQ: ceux qui sont accordés au plus bas soumissionnaire à l'issue d'un appel d'offres public et les contrats tarifés. Dans ce deuxième type de contrat, le MTQ choisit l'entreprise qui réalisera les travaux et fixe le prix du bitume. Les contrats tarifés sont souvent accordés dans des contextes où il y a peu de concurrence.

Le 3 mai 2004, l'ancien député d'Argenteuil rencontre Turcotte. Et il demande de se faire expliquer le mode d'octroi des contrats dans la région. Il lui présente notamment les résultats des quatre derniers contrats accordés par sa division territoriale. Tous étaient en deçà des estimations du ministère.

« Il m'a demandé d'envoyer tous mes appels d'offres publics et de rien envoyer en contrat à négocier », se rappelle-t-il. « Je sentais qu'il me faisait des pressions », a-t-il ajouté.

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Mario Turcotte

Turcotte fera part de son malaise à ses supérieurs Ligori Hinse et Jacques Gagnon.

Dans ses notes manuscrites de l'époque, déposées en preuve devant la commission, Turcotte écrit : « Je me pose de sérieuses questions sur la légitimité de sa visite et de l'insistance de sa demande. »

David Whissell a été député libéral de 1998 à 2011. En plus d'être politicien, il fut propriétaire et président d'une bétonnière, Béton 344, de 1994 à 2002 et propriétaire d'intérêts dans l'entreprise d'asphaltage ABC Rive-Nord, à partir de 2002.

Joint par La Presse, David Whissell affirme que cette rencontre est « plutôt vague » dans son esprit. « Mais si j'ai fait pareille allusion, c'était pour lui suggérer d'être prudent. »

Whissell a souligné que c'est normalement les contrats tarifés que l'on soupçonne d'être accordés à la suite de trafic d'influence. « Donc si j'avais suggéré le contraire, ça aurait été catastrophique !» Hier, Turcotte a aussi rapporté que Whissell aurait fait des « pressions » auprès de lui pour obtenir la programmation des travaux à venir dans sa circonscription.

Construction de la route 125 : « Rien n'était standard dans ce projet-là »

La commission a aussi scruté avec le témoin toutes les étapes ayant mené à la construction de la route 125 entre Saint-Donat et Lac-Supérieur.

« Il n'y a rien qui est standard dans ce projet-là, même si on l'a justifié techniquement », a dit Turcotte.

Le dossier avait fait grand bruit, l'an dernier, lorsque l'organisateur politique et vice-président au développement des affaires de la firme Roche, Gilles Cloutier, avait impliqué l'ancien ministre des Transports Guy Chevrette dans une histoire de pots-de-vin.

M. Cloutier a dit avoir remis 25 000$ à Gilles Beaulieu, évaluateur agréé et grand ami de M. Chevrette, pour obtenir le contrat. Cloutier avait affirmé que Guy Chevrette avait trempé dans la « magouille ».

Roche a bel et bien obtenu le contrat de conception du tronçon de 31 kilomètres. Il a été construit entre mai 2002 et décembre 2003 par l'entreprise JL Campeau, une filiale d'Asphalte Desjardins.

Selon Mario Turcotte, Chevrette entretenait des liens d'amitié avec des dirigeants d'Asphalte Desjardins.

Pas une priorité du MTQ

Le cheminement de ce dossier a été tortueux. Turcotte a admis hier que la construction de cette route récréotouristique n'était pas une priorité du MTQ, mais plutôt d'un projet politique.

C'est d'abord la municipalité de Saint-Donat qui devait réaliser le projet, avec le soutien de la firme Génivar. Turcotte jouait le rôle d'accompagnateur dans le dossier à titre de représentant du MTQ. Selon Turcotte, le cabinet de Chevrette a finalement décidé de confier le projet à la MRC de Matawini pour des motifs qu'il dit ignorer.

Hier, Turcotte a aussi déclaré que Cloutier avait fait des représentations auprès de Chevrette afin que Roche ait le contrat.

13 jours pour préparer un appel d'offres

Mario Turcotte a fait partie du comité de sélection pour choisir la firme qui remporterait le contrat de réalisation des plans et devis. Le maire de Rawdon, Réjean Neveu, Yves Paquin, le maire de Saint-Donat, Daniel Brazeau, le maire de Chertsey et Yves Gallairdetz, directeur général de la MRC, y siégeaient aussi.

La rencontre de sélection s'est déroulée le 21 février 2001, soit seulement 13 jours après le lancement de l'appel d'offres. Trois firmes ont soumissionné et Roche a obtenu une note substantiellement plus élevée que les autres.

«On donne 13 jours à des firmes pour préparer des soumissions sur un projet de 18 millions, ça tient du miracle!», a remarqué l'avocat de la commission, Me Paul Crépeau.

En mai 2003, le MTQ veut reprendre la responsabilité de la route, à la «surprise» de Turcotte, puisqu'il s'agit d'une route municipale. «C'est une demande que j'ai eue. Elle venait sûrement du bureau du ministre ou du sous-ministre », a-t-il précisé.

Aujourd'hui, la route 125 est peu fréquentée. «On dit d'elle que c'est la plus belle piste cyclable du Québec », a lancé à moitié sérieux, Me Campeau.

Le témoin sera contre-interrogé à compter de 14h15.