Grâce à un savant stratagème de fausse facturation, le «gang» de Normand Dubois est parvenu à priver le fisc de 14 millions $, a-t-on appris ce matin à la commission Charbonneau.

Construction: la prison après la vie de seigneur

Il s'agit de l'estimation la plus « conservatrice », a témoigné le sergent-détective Jérôme Bédard, appelé à la barre ce matin. Le policier de la Sûreté du Québec était le responsable du projet Garrot, l'enquête qui a ultimement causé la chute de l'entrepreneur Normand Dubois. L'homme a récemment plaidé coupable à une kyrielle d'accusations, dont gangstérisme, qui lui ont valu six ans et demi de prison. 

Avant de faire relâche durant la campagne électorale, la commission Charbonneau se penche cette semaine sur le phénomène de la fausse facturation dans le secteur de la construction, une pratique qui a fait perdre, en 2008, environ 1,5 milliard à Revenu Québec.

infographie La Presse

Image vidéo

Jérôme Bédard

Afin de mieux comprendre le stratagème, la commission entend depuis lundi plusieurs témoins qui exposent un cas concret : celui de l'entrepreneur Normand Dubois, la tête dirigeante d'un réseau de fausse facturation.

L'astuce du clan Dubois reposait sur le recrutement d'entreprises inactives dotées de licences de la Régie du bâtiment du Québec qui serviraient dans les faits de coquille. Ces entreprises, qui étaient « prêtées », agissaient alors comme fausses agences de placement. Les clients de Normand Dubois avaient recours à ces sociétés-écrans pour y camoufler en sous-traitance leurs véritables employés. Le stratagème visait à faire de l'évitement fiscal et mettre la main sur de l'argent comptant grâce à la complicité de trois centres d'encaissement. 

Selon Jérôme Bédard, le stratagème de fausse facturation du clan Dubois a débuté en 2001. Il a cependant fallu dix ans avant que les autorités se penchent sur cette affaire. 

Le projet d'enquête a débuté en 2011, après que Revenu Québec ait contacté la Sûreté du Québec avec ses découvertes. Les deux organismes ont collaboré ensemble sur l'enquête.

Les autorités ont seulement pu retracer les montants exacts des fraudes à partir de 2007. Près de 50 millions de factures ont été compilées par les enquêteurs pour la période allant de 2007 à 2011.

L'enquête a démontré qu'environ 30 millions ont été retirés des centres d'encaissement par l'entremise de neuf compagnies coquille, permettant de sauver plus de 9,7 millions en TVS et TVQ. Plus de 3,9 millions en RAS (retenues à la source) ont aussi échappé à Revenu Québec.

Jérôme Bédard a terminé son témoignage en fin d'avant-midi.

Nouveau témoin

En après-midi, la commission a entendu Louis Mercure, propriétaire de France joints, une entreprise en faillite, spécialisée dans le tirage de joints.

Selon son témoignage, le travail au noir gangrène l'industrie de la construction. «Je ne connais pas une entreprise au Québec qui fonctionne 100% dans les livres, il n'y en a pas, ça n'existe pas», a-t-il déclaré.

L'homme a lui-même admis avoir payé ses employés en argent comptant sans toujours le déclarer. Lorsque sa femme a suivi un cours à la Corporation des entrepreneurs du grand Montréal afin d'obtenir sa licence de la Régie du bâtiment du Québec, elle se serait même fait dire par son instructeur: « Si vous êtes 100% by-the-book, vous allez fermer dans six mois. »

Travail au noir : nouveau stratagème exposé à la ceic

Chaque entreprise a le droit d'avoir un employé qui n'est pas tenu de déclarer ses heures à la Commission de la construction du Québec (CCQ). Selon Mercure, les entreprises en construction profitent de cette situation pour faire baisser le prix de leur soumission en payant cet employé au noir. Mais le stratagème ne s'arrête pas là. Pour multiplier les économies, ils fondent des compagnies coquilles dans lesquelles on trouve seulement deux employés, le premier, qui profite de l'exemption de la CCQ et le second, un apprenti, rémunéré moins cher.

« Disons que tu as besoin de 10 gars sur un chantier. Ça m'est arrivé de voir cinq apprentis et cinq compagnons payés par cinq compagnies différentes », a illustré Mercure. « Ça permet à cet entrepreneur de travailler à 35 cennes du pied alors que moi ça me coûtait 50 cennes du pied. Il fait ben plus d'argent que moi ! Si la moitié de tes gars ne sont pas dans les livres, ça va bien mieux pour soumissionner sur un projet. »

En 2011, Louis Mercure a dénoncé le travail au noir dans son industrie à l'émission Enquête de Radio-Canada.

Il s'est ensuite rendu dans les bureaux de la CCQ pour rencontrer des enquêteurs. Il ne semble pas y avoir bénéficié de la clémence souvent accordée aux délateurs. « À cette époque-là, je me trouvais ben brillant de faire ça. Moi le tata je m'en vais aider. Je m'en allais dénoncer le système dans lequel on était pris. »

La CCQ a ensuite passé au peigne fin les livres de Mercure, dit-il. Elle a estimé que l'entreprise de Mercure n'avait pas déclaré 36 000 heures. Elle a donc refusé de lui délivrer des lettres de conformité, lui valant des pénalités, qui se sont accumulées. Incapable de les payer, cette affaire a fini par sonner le glas de son entreprise.

L'entreprise de Mercure oeuvrait surtout dans le résidentiel, un secteur à l'extérieur du mandat de la commission. Il affirme cependant avoir été embauché par des entrepreneurs qui avaient remporté des contrats publics comme des écoles, des CLSC et des prisons, sans toutefois préciser lesquels.

Demain matin, Éric Vecchio enquêteur de la commission sera appelé à la barre. Il parlera de l'infiltration de la mafia dans l'industrie de la construction.