La commission Charbonneau a décidé de suspendre ses audiences pendant la campagne électorale afin d'éviter de politiser ses travaux. Néanmoins, des enveloppes d'argent comptant lors de cocktails de financement du Parti libéral au « deal » de la FTQ avec le mari de Pauline Marois, l'ombre de l'enquête publique planera infailliblement sur les élections. 

La commission Charbonneau ne fournira pas de nouvelles munitions aux partis en prévision des élections, l'enquête publique ayant décidé de suspendre ses audiences le temps de la campagne. «Une sage décision», estiment un témoin-vedette de l'enquête publique et un ancien procureur de la commission Gomery.

Tout indiquait que la Commission allait s'attaquer aux contrats du ministère des Transports et au financement des partis provinciaux. Or, le déclenchement des élections hier a visiblement chamboulé ses plans.

Signe que les prochains témoignages risquent d'éclabousser les partis, la suspension des audiences jusqu'au lendemain des élections a été annoncée. La décision n'a toutefois pas été prise facilement, selon nos sources, un houleux débat interne ayant eu lieu.

Dans un communiqué, les trois commissaires ont rappelé qu'ils entendaient mener leurs travaux de façon apolitique et indépendante. «Nous ne voulons pas risquer que les audiences soient entraînées dans l'arène politique. Les élections sont les assises de la démocratie et la Commission ne voudrait pas influencer d'une façon ou d'une autre l'électorat.»

La suspension des travaux de la Commission n'est pas immédiate. Les audiences se poursuivront brièvement la semaine prochaine, pour permettre à l'enquête publique de clore «les volets fausse facturation et infiltration du crime organisé italien dans l'industrie de la construction». Une fois les derniers témoins entendus, les audiences seront suspendues jusqu'au 8 avril. Pour rattraper le retard entraîné par cette pause imprévue, la Commission a prévu un nouveau calendrier.

Décision saluée

Même s'il dit avoir voulu dénoncer le financement illégal des partis politiques en témoignant, Lino Zambito appuie la suspension des travaux. «Oui, il faut aller chercher la vérité, mais il ne faudrait pas que la Commission ou l'UPAC influencent la démocratie. C'est une sage décision de leur part», a-t-il commenté.

Il n'est pas le seul à penser que l'enquête publique se serait trouvée en terrain glissant durant la campagne. «J'aurais trouvé ça préoccupant que la Commission couvre le financement politique en pleine campagne. En parler avant, c'est une chose. Mais pendant, je trouverais ça très dangereux», a dit Me Simon Ruel, ancien procureur de la commission Gomery.

Cet avocat spécialiste des commissions d'enquête souligne que de nouvelles allégations auraient pu avoir un effet dévastateur sur certains candidats. Or en établir la véracité peut être très long, comme en témoigne le cas de l'ex-ministre Guy Chevrette qui, dix mois après avoir été éclaboussé par un témoignage, n'a pas encore pu donner sa version des faits.

La Gendarmerie royale du Canada avait d'ailleurs été blâmée pour avoir dévoilé publiquement lors de l'élection fédérale de 2006 qu'elle enquêtait sur une fuite de renseignements au ministère des Finances, nuisant à la campagne des libéraux de Paul Martin, rappelle Me Ruel.

Me Ruel appelle du même souffle les candidats à faire preuve de la plus grande prudence durant l'élection dans leur utilisation des révélations auxquelles la Commission a déjà donné lieu. «C'est très difficile d'utiliser des allégations non vérifiées lors d'une campagne. Ce serait un jeu dangereux pour tout le monde», dit-il.

Stratège en marketing, Jean Gosselin est toutefois convaincu que les partis ne se priveront pas d'utiliser les révélations de la Commission en guise de munitions électorales.

«On ne fera pas dans la nuance. Ce ne sera pas pour éclairer le débat, mais pour donner un coup d'épaule à l'autre parti. Les candidats sont esclaves de la clip de 10 secondes aux bulletins de nouvelles. C'est plus simple de traiter quelqu'un de voleur que de dire qu'il aurait peut-être omis de faire certaines déclarations dans sa déclaration de revenus», résume-t-il.

Déjà, Lino Zambito croit que les électeurs ressortent confus du flot d'allégations entendues. «Le DGE m'a enlevé le droit de vote pour cinq ans et je dois avouer que je suis un peu content. Avec tout ça, tu votes pour qui? C'est épeurant. La campagne va être décidée par les scandales, va être gagnée par celui qui va en ressortir le moins magané.»