L'ancien dirigeant syndical Gérard Cyr serait parvenu à extorquer 1,2 million de dollars à l'entreprise Ganotec, qui oeuvre dans le secteur pétrolier.

L'actuel PDG de l'entreprise, Serge Larouche, qui a témoigné aujourd'hui à la commission Charbonneau, a déclaré que 0,5% des revenus des contrats d'alliance de Ganotec avec Shell et Pétro-Canada entre 2000 et 2006 avaient été versés à Gérard Cyr, qui était alors gérant d'affaires du local 144, affilié au Conseil provincial (International) des métiers de la construction. Au départ, Cyr avait exigé 1%.

C'est le prédécesseur de Larouche et fondateur de Ganotec, Léopold Gagnon, qui l'a informé de ce stratagème. Il visait supposément à remercier Cyr de son lobbying pour l'embauche d'Eugène Arsenault « un homme clé tombé du ciel » qui avait permis à Ganotec d'obtenir les contrats avec les pétrolières.

Pour verser les pots-de-vin, Ganotec a dû mettre sur pieds un système de fausse facturation avec l'aide de l'entrepreneur Louis-Pierre Lafortune, ex-président des Grues Guay, aujourd'hui accusé de gangstérisme et de blanchiment d'argent dans la foulée de l'opération Diligence. Lafortune empochait une commission de 10% pour ses services.

Larouche a raconté que de l'argent comptant était déposé dans un coffret de sûreté à la banque. Lafortune récupérait des liasses d'argent qu'il roulait et cachait dans ses bas, puis remettait l'argent à Cyr dans des toilettes.

« Ça ne m'a pas effleuré l'esprit d'appeler la police » à l'époque, a témoigné Larouche.

40 000 $ en échange d'une « protection »

Léopold Gagnon aurait également versé 40 000 $ à Gérard Cyr en 1997 en guise de « protection » et pour s'assurer d'avoir une main-d'oeuvre qualifiée sur un chantier.

« J'ai vu ça comme une assurance pour ne pas me faire frapper», a déclaré Serge Larouche, qui avait été mis au courant de la transaction à l'époque, mais qui avoue n'avoir rien fait. « C'était une protection un peu comme celle dans les bars au Québec », a-t-il ajouté.

Le 40 000 $ aurait par ailleurs servi à se prémunir contre « le fond du baril », un terme utilisé pour qualifier des travailleurs médiocres ou peu formés. « Tu veux des soudeurs capables de souder », a expliqué Serge Larouche.

Le témoin Larouche a aussi relaté qu'un « cadeau monétaire » avait été offert à Gérard Cyr en 1994 par Louis Gagnon, actionnaire de Ganotec pour « stimuler un chantier » de Gaz Métro à Val-D'Or, qui devait se terminer dans des délais précis.

Photo Jacques Boissinot, PC

Gérard Cyr

Doléances au ministre libéral Laurent Lessard

Lors de son interrogatoire, le commissaire Renaud Lachance a demandé au témoin s'il existait un mécanisme pour dénoncer la « gourmandise » de certains dirigeants syndicaux.

« C'est assez difficile de se faire entendre », a-t-il répondu en précisant que ses avocats avaient déjà tenté de faire part de leurs doléances à la Commission de la construction du Québec.

« Je me souviens d'avoir parlé au ministre du Travail en 2005 dans un hôtel à Trois-Rivières, il y avait même d'autres entrepreneurs présents, a-t-il ajouté. On parlait de Gérard (Cyr) du local 144 et sa réponse c'était : on ne peut pas toucher à ça. Et là, il a parti un genre de congrès sur la productivité dans la construction. »

Menaces

Les paiements à Gérard Cyr ont cessé lorsque Ganotec a été vendue en juin 2007 à l'entreprise Kiewit. Les avocats de Kiewit ont été mis au courant du fait que des pots-de-vin avaient été versés à Cyr.

Avant la transaction, les actionnaires de Ganotec se sont réunis et ont mis 400 000 $ de leur argent personnel de côté comme « assurance » au cas où Gérard Cyr leur ferait des menaces. « Quand une compagnie donne de l'argent à Gérard c'est pour ne pas avoir de trouble, pour ne pas être frappé. Pour moi, c'est comme une protection qu'un bar paye à la gang du quartier pour ne pas passer au feu. »

En avril 2007, Larouche verse 10 000 $ de son argent personnel à Gérard Cyr. « J'achetais du temps. »

Puis, en décembre 2007, il lui donne un autre 20 000 $ de son argent personnel pour l'empêcher de faire du lobbying contre Ganotec.

Pour une raison nébuleuse, en mars 2008, Gérard Cyr lui remettra finalement le 30 000 $. Il lui mentionnera cependant: « On m'a conseillé de te faire passer. » 

Un syndicat puissant

Selon le témoignage de Larouche, les dirigeants du local 144 en menaient large, se mêlant même du choix des contremaitres responsable de diriger les ouvriers.

Fait à noter, ce matin, le directeur général du Conseil provincial depuis 2013, Paul Faulkner, a déclaré que normalement, ce n'est pas le rôle des agents d'affaires de référer de la main-d'oeuvre sur un chantier.

Le Conseil provincial est communément appelé l'International en raison de ses liens avec de grands syndicats américains. Il est considéré comme le syndical rival de la FTQ-Construction.

Il comprend 27 sections locales au Québec (dont le local 144) qui représentent 24 différents métiers de la construction. Il compte 46 000 membres.

Plus tôt cette semaine, le porte-parole du Conseil Provincial, Victor Henriquez, a fait savoir aux médias que les dirigeants actuels « ne feront aucun commentaire sur les allégations entendues à la Commission Charbonneau tant que les personnes impliquées ne se seront pas expliquées devant les commissaires.»

Le Conseil provincial comprend 27 sections locales au Québec (dont le local 144) qui représentent 24 différents métiers de la construction. Il compte 46 000 membres.

Serge Larouche sera contre-interrogé demain matin par un procureur de l'International.