Jean Lavallée ne considère pas avoir été en conflit d'intérêt en favorisant les investissements de son syndicat, la Fraternité Inter-provinciale des ouvriers en électricité, au profit des centaine de milliers d'actionnaires du Fonds de solidarité FTQ.

L'homme de 73 ans a laborieusement repris son témoignage à la Commission Charbonneau, aujourd'hui, de façon lente et parfois confuse.

Au cours de sa longue carrière à la FTQ, Jean Lavallée a porté plusieurs chapeaux. Il fondé la Fraternité Inter-provinciale des ouvriers en électricité (FIPOE) au début des années 1980, local qu'il a dirigé jusqu'à sa retraite en 2008. Il a aussi été président de la FTQ-Construction de 1981 à 2008, un titre qui lui assurait automatiquement un siège au conseil d'administration du Fonds de solidarité FTQ. À cela s'ajoutait le rôle de président de conseil d'administration de la SOLIM, le bras immobilier du Fonds de solidarité FTQ.

Plutôt que d'investir l'argent de la FIPOE à la banque, Jean Lavallée a proposé, lors de son règne, que la FIPOE soit partenaire avec la SOLIM dans certains prêts.

Cela a permis à la FIPOE de faire fructifier l'argent de ses 14 000 membres, tout en réduisant les gains des 550 000 actionnaires du Fonds de solidarité.

Dans un échange musclé, le commissaire Renaud Lachance a demandé à Jean Lavallée s'il n'y avait pas un «problème» ou un «conflit d'intérêt» dans le fait qu'il ait «imposé» la FIPOE à la SOLIM, alors qu'il représentait, à titre de membre du CA, tous les actionnaires du Fonds de solidarité.

«Je n'ai pas volé de l'argent du Fonds de solidarité», a répliqué M. Lavallée. «SOLIM n'a jamais critiqué que j'y investisse», a-t-il ajouté.

Est-ce que c'est possible, en raison de votre longue feuille de route, que les gens qui siégeaient à la SOLIM n'ont pas osé vous dire que ce n'était pas correct, a demandé le commissaire Lachance. «S'ils étaient gênés, ce n'était pas de ma faute», a-t-il répondu.

Bien que 250 000 investisseurs du Fonds de solidarité FTQ ne sont pas syndiqués, Lavallée estime que le Fonds de solidarité est avant tout un «fonds syndical» et donc qu'il n'a rien «détourné».

Et si, avec les années, la FIPOE a été en mesure de placer près de 10 millions $, le syndicat était de trop petite taille pour avoir un fonds de grève, a indiqué Lavallée.

Fait à noter, il a aussi été incapable de chiffrer correctement le salaire moyen d'un électricien au Québec.

Séjours sur le Touch: «Je ne pensais pas que c'était pécher»

Des photos de M. Lavallée, torse nu sur le yatch de l'entrepreneur Tony Accurso ou en train de se faire étendre de la crème solaire par Tony Accurso et l'entrepreneur Jos Lombard, ont été montrées à la commission. Lavallée a admis y être allé à 5 ou 6 reprises entre 2004 et 2008, tous frais payés, y compris les billets d'avion. Mais c'était, dit-il, à «coûts minimes» puisque c'était lors de périodes où le Touch n'était pas loué (pour la somme de 70 000$ par semaine).

«Je ne pensais pas que c'était un pécher d'aller en bateau avec un ami», a-t-il déclaré faisant valoir que les moeurs ont bien changé depuis 25 ans. «Maintenant, ça pose toutes sortes de problèmes donc j'ai arrêté d 'y aller.» 

Placement syndical: Lavallée contredit Pereira

Jean Lavallée a aussi contredit le témoignage de l'ancien directeur de la section locale des mécaniciens industriels de la FTQ-Construction, Ken Pereira, à l'effet que les dirigeants syndicaux utilisaient le placement syndical pour faire la pluie et le beau temps sur les chantiers.

Pereira a déclaré que des syndicats pouvaient sciemment envoyer des «fonds de barils», soit des travailleurs moins habiles, pour ralentir le fonctionnement des chantiers et faire pression sur des employeurs.

«Je n'ai jamais entendu dire: je vais envoyer mes fonds de barils», s'est-il défendu.

Lavallée voulait «sauver la FTQ-Construction»

Un extrait d'écoute électronique présenté cet après-midi a aussi permis d'en savoir plus sur les coulisses du scandale des fausses factures de Jocelyn Dupuis, l'ex-directeur général de la FTQ-Construction.

Deux conversations interceptées entre Lavallée et le président de la FTQ-Construction, Michel Arsenault montrent l'état de panique qui régnait à l'époque de cette affaire en 2009, la première à éclabousser l'industrie de la construction.

Le 5 mars 2009, les deux hommes discutent de ce qu'ils vont dire aux journalistes qui tentent d'en savoir plus. D'un côté, Michel Arsenault craint qu'on pense qu'il n'ait pas agi après avoir vu les comptes de dépenses forgés, alors que Lavallée craint qu'on associe son départ à la retraite au scandale.

«J'ai pas parlé à personne de la FTQ Construction, j'ai laissé faire ça, pis coïncidence, deux semaines après euh, Jocelyn m'a dit qu'y s'en allait. Voyons donc! Hé, j'peux pas dire ça», tonne Michel Arsenault dans cette conversation.

«Non, non, mais tu peux dire que tu l'as rencontré pis tu y as dit écoute, j'ai eu ça, pis faut que tu t'en ailles. Ou sinon-là on a l'air tous des câlisses de menteurs», réplique Lavallée.

Demain là, moi j'peux pas dire que j'ai eu ces ostis de documents-là pis que j'ai rien fait avec. J'peux pas dire ça », ajoute Arsenault.

Questionné par la commission à savoir s'il avait tenté d'étouffé le dossier Lavallée à répondu: «Moi j'essaye pas de cacher, j'essaye de sauver la FTQ-Construction... et je n'ai pas réussi.»

PHOTO FOURNIE PAR LA CEIC

Jean Lavallée en compagnie des entrepreneurs Jos Lombard (à gauche) et Tony Accurso (à droite) lors d'un séjour sur le Touch.