Loin de se limiter à Montréal, la collusion a aussi sévi à Québec et Gatineau, a-t-on appris mardi à la reprise des audiences publiques de la Commission d'enquête sur l'octroi et la gestion des contrats publics dans l'industrie de la construction.

La Commission est à entendre l'ingénieur Patrice Mathieu, ex-vice-président génie urbain et transport pour l'Est-du-Québec pour la compagnie AECOM. Celui-ci reconnaît avoir pris part au partage des contrats à la Ville de Québec et dans certaines municipalités voisines.

Collusion à Gatineau

Plus tôt aujourd'hui, la Commission a exposé la collusion qui a sévi à Gatineau avec le témoignage de Marc-André Gélinas, directeur général en Outaouais pour la compagnie AECOM.

À l'automne 2003, Marc-André Gélinas dit avoir été convoqué à une rencontre à Laval avec un collègue, Roger Desbois, qui a témoigné le printemps dernier à la Commission de son rôle dans le partage des contrats à Laval. Celui-ci l'informe que les quatre firmes de génie présentes à Gatineau se sont entendues pour se partager les contrats. Cima+ aura 40 % des mandats de la Ville, Génivar 27 %, Tecsult 22 % et Dessau 11 %.

Roger Desbois informe son collègue qu'il devra orchestrer la collusion en personne avec ses «compétiteurs». «On savait que c'était illégal», a reconnu M. Gélinas. Parmi ses interlocuteurs, il affirme avoir organisé le partage des contrats avec François Paulhus, de Génivar. Ce dernier, candidat à Québec pour le parti du maire Régis Labeaume aux élections municipales de novembre, a annoncé lundi qu'il renonçait à se présenter.

Les plus hauts cadres de ces firmes se sont d'abord rencontrés dans une chambre d'hôtel pour se partager les contrats. Pour éviter d'avoir à se rencontrer trop souvent, Marc-André Gélinas a fini par élaborer un complexe système de code pour faciliter le partage des contrats au téléphone, sans risquer de se faire prendre si jamais leurs conversations étaient sous écoute. L'ingénieur a par ailleurs révélé que les rencontres de l'Association des ingénieurs-conseils, lobby de l'industrie, servaient de paravent à la collusion.

Selon Marc-André Gélinas, la collusion a perduré à Gatineau jusqu'à la fin de 2008. Tous les contrats de 25 000 $ à 500 000 $ étaient partagés.

En 2007, le partage des parts de marché a été modifié pour favoriser davantage Dessau, qui avait brièvement mis fin à la collusion pour obtenir davantage de mandats.

La collusion à Gatineau a laissé des traces puisque les firmes écrivaient dans des fichiers informatiques les contrats truqués. Ceux-ci étaient sauvegardés sur des clés USB. C'est la première foi que la Commission met la main sur un livre noir de la collusion, démontrant noir sur blanc l'étendue du partage des contrats.

Marc-André Gélinas assure que personne à l'hôtel de ville n'était au courant, que ce soit le maire ou les fonctionnaires. «Notre système ne laissait pas d'indice», a expliqué le témoin.

Même s'il assure ne jamais avoir corrompu de fonctionnaire ou d'élu, le témoin a reconnu avoir offert des cadeaux à ceux-ci de 2005 à 2008. À Noël, il envoyait des cartes-cadeaux de 50 $ à 100 $ à certains fonctionnaires. Il en invitait aussi dans une loge du Centre Bell pour des parties du Canadien et a également offert des billets pour des parties des Sénateurs d'Ottawa.

Marc-André Gélinas dit avoir mis fin à sa participation dans le partage des contrats de Gatineau en février 2009 après avoir lu un article du quotidien Le Droit. Le texte décrivait les accusations criminelles portées contre des dirigeants d'entreprises ayant fait un cartel dans les contrats informatiques du gouvernement fédéral. Même s'il savait qu'il agissait illégalement en participant à la collusion, «j'avais sous-estimé la gravité de ce qu'on faisait», a expliqué le témoin.

Relance des audiences

La procureure en chef de la Commission, Me Sonia LeBel, a relancé les audiences en faisant le point sur les nombreux stratagèmes exposés par l'enquête publique. Elle a rapidement indiqué que, malgré le prolongement du mandat jusqu'en avril 2015, «nous n'avons pas le luxe de retourner chaque pierre». 

Sans nommer l'ex-maire de Laval, Gilles Vaillancourt, elle a confirmé que la Commission n'entendrait pas toutes les personnes pointées du doigt pour leur implication dans la collusion. «Nous ne faisons le procès de personne», a rappelé Me LeBel. Le chapitre sur Laval étant clos, Vaillancourt ne sera vraisemblablement pas entendu par la Commission, comme l'écrivait La Presse samedi.  

La procureure en chef a confirmé que l'automne s'annonce syndical. «Les syndicats de la construction occupent une position clé dans l'industrie de construction», a-t-elle indiqué. Il sera notamment question de l'intimidation et d'extorsion sur les chantiers. 

Me LeBel a souligné que la Commission s'intéresserait à la vulnérabilité des syndicats face au crime organisé. Aux États-Unis, plusieurs études ont été faites sur l'infiltration des syndicats pour permettre au crime organisé de prendre le contrôle de l'industrie de la construction. La Commission entendra le sergent Alain Belleau de la Sûreté du Québec, spécialiste des groupes de motards criminalisés.

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