Gilles Vaillancourt a offert à une firme de génie 15% des contrats d'ingénieurs si l'un de ses associés abandonnait sa candidature à la mairie de Laval, a affirmé un témoin de la commission Charbonneau.

L'ingénieur Claude Vallée a témoigné cet après-midi en assurant avoir toujours refusé de payer le 2% au PRO des Lavallois.

En 1997, son associé Daniel Lefebvre songea à se présenter à la mairie. Gilles Vaillancourt approche alors Claude Vallée avec une proposition alléchante: s'il réussi à convaincre Lefebvre d'abandonner sa candidature, leur firme de génie décrochera 15% des contrats de génie de Laval. Si Claude Vallée se dissocie de son partenaire, il lui offre 13% des honoraires de génie.

«La proposition d'affaires était bonne en maudit!» s'est exclamé Claude Vallée. Néanmoins, il dit avoir refusé.

La réplique de Vaillancourt à ce refus est immédiate: du jour au lendemain, leur firme se fait refuser tous les contrats de la Ville de Laval. Vallée dit avoir rapidement compris que c'en était finit de son entreprise et décide alors de vendre à BPR. «Il n'y avait plus de place pour la mauvaise herbe et j'en étais», a-t-il dit.

Daniel Lefebvre s'est présenté à la mairie en 1997, perdant face à Gilles Vaillancourt par plus de 10 000 votes.

Le 2% payé en café

Sans le savoir, les employés de la firme de génie Cima+ ont payé la ristourne de 2% au PRO des Lavallois en buvant du café. Un ancien vice-président, Lucien Dupuis, a expliqué que l'argent comptant versé au parti de l'ex-maire Vaillancourt provenait des machines à café de l'entreprise.

Lucien Dupuis a reconnu que sa firme de génie a participé dans le système de partage des contrats à Laval. Cet ancien haut dirigeant de l'entreprise a également admis avoir lui-même payé le 2% de la valeur des contrats décrochés auprès de la Ville.

La ristourne était remise au notaire lavallois Jean Gauthier, dans des enveloppes. Lucien Dupuis a révélé que l'argent comptant provenait des machines à café installés dans les bureaux de Cima+ à Laval, près de l'hôtel de ville. «Il y a 3 à 5 machines à café aux bureaux de Cima+. Le café est à 50 cents et, sur les 200 employés, il y en a 100 ou 150 qui prennent 2 cafés par jour. Ça fait 500$ par semaine, 25 000$ par année», a-t-il illustré rapidement. Cet argent était caché dans une petite caisse, elle-même cachée dans un coffre-fort au service de la comptabilité de la firme.

Lucien Dupuis affirme ne jamais avoir discuté du pourquoi de ses visites au notaire Jean Gauthier, mais que celui-ci n'était pas surpris de se voir remettre des enveloppes remplies d'argent. «Il savait que c'était parce qu'on avait perçu des honoraires et qu'on travaillait pour Laval.»

Il y avait beaucoup de non-dits dans le fonctionnement du système de Laval, confirme Lucien Dupuis. Le témoin affirme également ne jamais avoir discuté du 2% avec Gilles Vaillancourt, mais «j'étais convaincu qu'il le savait».

Cima+ soignait d'ailleurs ses relations avec l'ex-maire de Laval en l'invitant fréquemment dans sa loge du Centre Bell assister à des parties du Canadien. «C'était un féru de hockey, il aimait beaucoup ça», a dit Dupuis. Le témoin affirme également que plusieurs élus, mais aussi des fonctionnaires d'Hydro-Québec, ont été invités dans cette loge par la firme de génie.

Bahjat Ashkar: Vaillancourt a «inventé» le système à Laval

La commission Charbonneau poursuit aujourd'hui ses audiences en explorant le rôle des ingénieurs dans le système de Laval. Un autre ingénieur, dont l'identité n'a pas encore été dévoilée, doit également témoigner après Lucien Dupuis.

Plus tôt aujourd'hui, l'ingénieur Bahjat Ashkar a raconté comment il faisait les versements par l'intermédiaire du notaire Jean Gauthier qui lui indiquait que le maire Vaillancourt serait mis au courant. La première contribution remonte au début des années 2000.

Après avoir vendu sa firme de génie BAFA à LBHA, en 2000, M. Ashkar est devenu un employé qui était responsable du développement des affaires, c'est-à-dire de maintenir le volume de contrats de la firme. Son objectif était d'obtenir des mandats d'une valeur de quelque 500 000 dollars auprès de la Ville de Laval, a expliqué  M. Ashkar.

Ce dernier s'est alors adressé directement au maire Gilles Vaillancourt pour proposer de soutenir la caisse électorale du PRO des Lavallois. M. Vaillancourt l'a alors dirigé vers Jean Gauthier. 

«Ça m'a sécurisé», a expliqué M. Ashkar. «Par intuition», comme il l'affirme, Bahjat Ashkar a estimé qu'il devait donner entre 8 000 et 10 000 dollars pour accéder à des contrats. Le témoin a également précisé qu'il rencontrait régulièrement le maire Vaillancourt qui s'informait en lançant, selon sa formule typique, «comment la Ville te traite-t-elle ?». 

Avec l'adoption en 2002 de la loi 106 obligeant les appels d'offres pour l'attribution de contrats aux firmes de génie, le système de collusion a pris une nouvelle dimension, a expliqué M. Ashkar. 

C'est à ce moment que le directeur du service de génie de Laval, Claude Deguise, est entré en scène.  Selon le témoin, M. Deguise prévenait le gagnant d'une soumission trois jours avant que le processus ne soit enclenché officiellement.  

M. Ashkar a expliqué que lorsque son entreprise était identifiée, il avait la responsabilité de contacter ses concurrents pour leur dire que «c'est mon tour». Du coup, les autres firmes déposaient des soumissions de complaisance. Mécontent du volume d'affaires, M. Ashkar a expliqué l'avoir mentionné à Claude Deguise. Ce dernier lui a indiqué d'aller «en bas», c'est-à-dire au bureau du maire Vaillancourt.

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