Le système de collusion à Laval n'était pas dirigé par l'ex-maire Gilles Vaillancourt, mais plutôt par le fonctionnaire Claude Deguise, a affirmé devant la commission Chabonneau l'entrepreneur Ronnie Mergl.

«Le chef d'orchestre, c'était Claude Deguise», a assuré Ronnie Mergl, vice-président de Nepcon. L'homme est le premier des 37 accusés dans la frappe de l'Unité permanente anticorruption le 9 mai dernier à témoigner en enquête publique sur le système de partage des contrats de Laval.

Selon ce nouveau témoin, l'ex-directeur du service de génie de la Ville était le seul à diriger le partage des contrats. Le fonctionnaire recevait peut-être des ordres de son patron, Claude Asselin, mais l'entrepreneur dit avoir toujours eu pour seul contact Claude Deguise.

Ronnie Mergl a reconnu devant la commission Charbonneau sa participation au stratagème de collusion à Laval et le paiement du 2%. Présent depuis longtemps sur l'île Jésus, celui-ci affirme que le partage des contrats a débuté sous Gilles Vaillancourt. Il a toutefois pris soin d'éviter d'accorder tout rôle à l'ex-maire, aujourd'hui accusé de gangstérisme, dans le stratagème.

Entrepreneur en construction depuis les années 1970, Ronnie Mergl affirme que la Ville de Laval a toujours favorisé les entreprises locales, qui payaient des taxes sur son territoire. S'il peut y avoir eu collusion à l'époque, «c'était beaucoup plus à époque de Gilles Vaillancourt» que le phénomène s'est solidement enraciné, a-t-il expliqué.

«Nepcon a bénéficié de contrats arrangés?» a demandé le procureur Paul Crépeau, menant l'interrogatoire. «Tout à fait», a reconnu Ronnie Mergl.

Le témoin a expliqué que la collusion «a commencé lentement» avec l'embauche de Claude Deguise comme directeur du service du génie de Laval. Cet ancien employé de Dessau était responsable du partage des contrats, selon le témoin.

Claude Deguise choisissait le gagnant de chaque appel d'offres avant même leur lancement et lui remettait la liste des participants ainsi que l'estimation des coûts. Les entrepreneurs devaient ensuite s'arranger entre eux. Pour éviter de semer la discorde, plusieurs chantiers étaient lancés à la fois pour en donner à tout le monde et ainsi calmer leur appétit.

Ronnie Mergl admet aussi avoir servi de messager pour le partage des contrats. À un moment, la collusion a pris une telle ampleur que c'est la cohue au bureau de Claude Deguise. Pour limiter le nombre d'entrepreneurs lui rendant visite dans les bureaux de la Ville de Laval, le fonctionnaire demande à Mergl de distribuer une partie des enveloppes détaillant les appels d'offres truqués. Il assure ne jamais avoir décidé quel entrepreneur recevait quel contrat, disant avoir reçu des enveloppes scellées qu'il n'ouvrait pas.

Ce rôle a toutefois créé de la jalousie chez ses concurrents qui croyaient qu'il en tirait davantage de contrats, a-t-il dit. Après un an ou deux, Ronnie Mergl dit avoir cessé de distribuer les enveloppes.

L'entrepreneur a confirmé avoir versé 2% de la valeur des contrats obtenus auprès de la Ville de Laval. Il dit avoir fait des versements de 25 000$ à 30 000$ à chaque «fin de saison», soit à l'automne. Les paiements étaient faits à des ingénieurs de la firme de génie Tecsult, Marc Gendron et, après sa retraite, à Roger Desbois.

Ronnie Mergl dit que le paiement du 2% était plus fréquent lors des années électorales. Les demandes étaient moins pressantes en années non électorales. Les années électorales coïncidaient d'ailleurs à une hausse marquée du nombre de chantiers, a-t-il constaté.

L'entrepreneur préférait faire affaire avec Marc Gendron qui agissait «en bon père de famille» avec le 2%. Pour éviter «d'étouffer» les entrepreneurs, il acceptait parfois de récolter seulement 1% et, en de rares occasions, 0%. Son successeur, Roger Desbois était plus rigide et exigeait le paiement complet du 2%. Il réclamait également un versement rapidement après l'octroi du contrat.

C'est le premier accusé de l'opération «Honorer» qui témoigne devant la commission Charbonneau. Rappelons que les témoins bénéficient de l'immunité contre l'auto-incrimination. Ses aveux ne pourront donc pas servir contre lui lors de son procès pour sa participation dans le stratagème de Laval.

Incorruptible à la Commission

Appel d'offres truqué, fournisseurs imposés et demande de pot-de-vin. Un entrepreneur en construction de Mascouche a raconté devant la commission Charbonneau ses difficultés à travailler à Laval.

Vers 2003-2004, l'entreprise Excavation S. Allard est embauchée pour faire des travaux sur un projet privé de 42 triplex, dans le secteur de Pont-Viau, Laval. Le promoteur invite son président, Pierre Allard, à participer à l'appel d'offres pour faire les travaux d'égouts et aqueducs dans le secteur.

Sa présence dérange. Peu avant le dépôt des soumissions, Pierre Allard reçoit un appel de l'entrepreneur Normand Trudel de Mascouche. Il l'avise qu'un ami veut le rencontrer pour servir de sous-traitant. Mais voilà, celui-ci ne veut pas simplement faire une partie des travaux, mais veut tout le contrat.

Patrick Lavallée, de J. Dufresne Asphalte l'avise qu'un système de partage des contrats existe à Laval. «C'est chacun notre tour et c'est à mon tour», lui dit-il. Il lui demande de se retirer de l'appel d'offres ou de faire une soumission de complaisance.

«Je comprenais que j'étais le grain de sable dans l'engrenage», a témoigné Pierre Allard. Pour le convaincre, Lavallée lui promet de ne pas l'oublier, qu'il compte lui retourner l'ascenseur.

«J'avais décision à prendre pour dire si j'embarque dans ce système. Je n'avais pas beaucoup de temps, j'ai décidé de ne pas le faire. J'en suis très content aujourd'hui», a expliqué Allard.

Excavation S. Allard a décroché le contrat. Son client est très heureux, disant avoir économisé de 100 000$ à 200 000$ grâce à lui.

Ses problèmes se poursuivent avant le début des travaux, l'ingénieur responsable du chantier refuse qu'il utilise des produits achetés chez Casaubon. «À Laval, tu dois utiliser du Lécuyer», lui dit-il. Allard plie, une décision qui lui coûtera 3000$ de plus que s'il avait utilisé son fournisseur habituel. «Avec les produits Casaubon, je peux rentrer dans n'importe quelle ville au Québec, sauf à Laval» s'étonne encore Pierre Allard.

Durant les travaux, Pierre Allard doit recourir aux cols bleus de Laval pour brancher ses tuyaux au réseau municipal. À sa surprise, les deux premiers cols bleus sur son chantier refusent de faire le travail, jugeant inapproprié le trou creusé. Un employé de l'entrepreneur lui dit qu'ils veulent probablement être payés. Bref, recevoir un pot-de-vin.

«Je pile sur mes principes, je me dirige vers son camion. Je sors 50$ et lui demande si le trou est correct maintenant.» Le col bleu demande 100$, mais acceptera de le faire pour 60$, Pierre Allard n'ayant pas cette somme sur lui. L'entrepreneur dit avoir dénoncé la pratique au contremaître municipal et n'avoir jamais eu à payer par la suite pour de tels travaux.

La commissaire France Charbonneau a chaleureusement remercié l'entrepreneur pour son témoignage, parlant d'un «témoignage rafraichissant et réconfortant». Avant de lui donner congé, elle a salué son courage d'avoir dénoncé ces pratiques à l'escouade Marteau.

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Pierre Allard