Le refus de se plier à la collusion a-t-il coûté la vie à l'entrepreneur Serge Loiselle? L'homme mystérieusement assassiné en 2011 ne respectait pas les règles du partage des contrats dans la région de Montréal, a affirmé hier devant la commission Charbonneau le témoin Gilles Théberge.

Serge Loiselle a été assassiné à son domicile de Valleyfield en novembre 2011, dans ce qui ressemblait à un vol ayant mal tourné. Des individus cagoulés ont fait irruption dans son domicile et l'ont battu à mort. Sa conjointe a aussi été sévèrement battue, mais elle a survécu.

À l'époque, la police avait vérifié de possibles liens entre ce meurtre et le monde de la construction. La piste n'avait pas été concluante, si bien que le vol demeure la principale thèse pour expliquer cette mort.

Or, voilà que le nom de Serge Loiselle a été évoqué pour la deuxième fois hier devant la commission Charbonneau en raison de sa présence jugée dérangeante dans la région de Montréal. Gilles Théberge, qui a longtemps travaillé pour l'entreprise Sintra, a dit qu'il a tenté sans succès de s'entendre avec lui sur le partage les contrats du secteur de Valleyfield.

Le témoin a en effet expliqué à la Commission que la collusion était bien présente sur la Rive-Sud de Montréal durant les années 90. Selon lui, les entreprises Baillargeon, Bernier, DJL et Pavages Chenails se partageaient les contrats sur la Rive-Sud, entre Saint-Constant et Sainte-Julie, en passant par Longueuil.

Sintra s'impliquait peu dans ce groupe, puisqu'il régnait «en roi et maître» sur le secteur de Valleyfield, plus à l'ouest. La donne a toutefois changé au milieu des années 90, quand l'entreprise Ali Excavation a ouvert une usine d'asphalte à 10 km à peine de celle de Sintra.

Après une farouche compétition, Gilles Théberge affirme qu'il a tenté de s'entendre avec son rival, Serge Loiselle, pour fixer le prix de l'asphalte. «À un moment, on s'est assis ensemble et on a regardé ce qu'on pouvait faire, mais je considérais que cette personne n'était pas honnête. Il ne respectait pas le numéro [prix] que je lui donnais pour soumissionner», a relaté le témoin.

Selon M. Théberge, quand venait le temps de répondre aux appels d'offres, Serge Loiselle «faisait toujours une erreur importante et il ramassait les projets», a-t-il déploré. Après avoir constaté qu'il était impossible de bien se partager les contrats, le témoin affirme qu'il a cessé de «jouer au chat et à la souris» et qu'il a abandonné l'idée de s'entendre avec lui.

Plus tôt dans son témoignage, Gilles Théberge a insisté pour expliquer que les entrepreneurs devaient jouer «franc-jeu» et respecter le territoire de leurs rivaux pour que le partage des contrats fonctionne bien. Lui-même dit avoir été victime de son entêtement quand il a refusé de renoncer à des appels d'offres. Sa voiture a explosé le 15 juin 2000 - un attentat qu'il relie directement à la collusion présente dans la région de Montréal.

Ce n'est pas la première fois que le nom de Serge Loiselle fait surface à la commission Charbonneau. En novembre, l'entrepreneur Michel Leclerc, de Terramex, a dit avoir fait appel à son entreprise, Ali Excavation, pour faire du pavage en sous-traitance dans l'un de ses chantiers. Sa présence dans la métropole avait toutefois dérangé. «J'ai su par après qu'il s'était fait dire de ne plus revenir soumissionner à Montréal. Il avait eu un avertissement», a indiqué Leclerc. Lui-même affirme qu'il a aussi été victime d'intimidation quand il a commencé à vouloir décrocher des contrats à Montréal.

-Avec David Santerre

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Gilles Théberge

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Entrepreneurs brutalisés ou intimidés

ANDRÉ DUROCHER
Excavation Panthère

Après avoir reçu la visite  de quatre hommes dans une Cadillac noire, son frère a eu le visage fracassé en décembre 2008 par un poing américain - ce que l'entrepreneur qualifie de tentative de meurtre.

JOE BORSELLINO Construction Garnier

L'entrepreneur a été passé à tabac par trois hommes devant ses bureaux, en juillet 2009. Il a refusé de porter plainte à la police, même s'il a dû subir une reconstruction du visage.

GILLES THÉBERGE Sintra et Valmont Nadon

La voiture de cet ex-directeur de Sintra a explosé dans le stationnement de sa résidence. Deux semaines plus tôt, les vitres d'un de ses voisins avaient été cassées - un avertissement qui lui était destiné, selon l'entrepreneur Nicolo Milioto.

TONY CONTE Conex

Lors d'un dîner, l'entrepreneur, aujourd'hui décédé, a confié à son collègue Gilles Théberge que sa voiture, une Cadillac, a aussi explosé dans le stationnement de son entreprise.

MARTIN CARRIER Céramiques Lindo

Cet entrepreneur de Québec a reçu des appels anonymes et une carte de condoléances l'enjoignant à cesser de s'intéresser à des projets de construction à Montréal. L'enquête policière a déterminé que les menaces provenaient de Francesco Del Balso, proche du clan Rizzuto.

MICHEL LECLERC Terramex

L'entrepreneur dit avoir reçu des appels anonymes, subi des appels à la bombe, et affirme que son équipement a été incendié. Un rival s'est aussi présenté chez son partenaire, en plus de poster une voiture devant un hôtel de ville pour l'empêcher de soumissionner.

JEAN THÉORÊT Excavation Gérald Théorêt

En plus d'appels anonymes, l'entrepreneur a été victime de vandalisme. Une pelle hydraulique nouvellement achetée a été incendiée dans un chantier de Montréal.

JEAN-GUY DUBÉ Excavation Anjou

Lors du témoignage de Gilles Cloutier, l'ex-organisateur politique a reconnu avoir été au courant des menaces dont l'entrepreneur Jean-Guy Dubé et son fils ont été victimes pour les empêcher de participer aux appels d'offres du ministère des Transports.