L'entreprise Valmont-Nadon a touché un faux extra de 600 000$ pour l'un de ses contrats à Laval, a affirmé un ancien employé, Gilles Théberge. Le témoin de la commission Charbonneau toutefois dit avoir eu à verser de 40 000$ à 60 000$ à l'ingénieur Roger Desbois pour y avoir droit.

Au milieu des années 2000, Valmont-Nadon décroche un contrat de 3,6 millions à Laval. À la fin du mandat, l'entreprise constate que le chantier ne lui a coûté qu'un peu plus de 3 millions.

Pour éviter de «perdre dans la nature» le 600 000$ auquel il estimait avoir droit, Gilles Théberge a conclu une entente avec l'ingénieur Roger Desbois, de Tecsult, pour obtenir des faux extras. En échange, le témoin dit avoir remis un paiement de 40 000$ à 60 000$ à l'ingénieur responsable du chantier. Roger Desbois a confirmé lors de son témoignage la semaine dernière avoir empoché des montants d'argent pour accorder des faux extras.

Le commissaire Renaud Lachance a rapidement fait remarquer au témoin que les 600 000$ n'auraient pas été perdus, mais seraient plutôt restés dans les coffres de la Ville de Laval, ce qui aurait représenté une économie pour les Lavallois.

Le témoignage de Gilles Théberge ce lundi vient corroborer celui des trois derniers témoins qui sont venus décrire l'existence d'un système de partage des contrats et de ristourne pour le parti de l'ex-maire Gilles Vaillancourt.

Le témoin a indiqué que Valmont-Nadon avait bonne réputation sur la question du paiement du 2%.«On se faisait un devoir de bien payer», a-t-il dit. Pour être dans les bonnes grâces, l'entreprise payait même la moitié de sa ristourne dès la confirmation de l'obtention d'un contrat.

Gilles Théberge a précisé que, à sa connaissance, la  collusion existe à Laval au moins depuis le milieu des années 1980. Et selon lui, tous les entrepreneurs en construction savaient que «le boss, c'était Gilles Vaillancourt». 

Il dit avoir tenté de percer le marché de Laval au milieu des années 1990. Gilles Théberge dit qu'il savait à l'époque que le marché lavallois était fermé par un système en place depuis 1985, mais que son entreprise a malgré tout voulu forcer son entrée. Pour y arriver, Sintra a fait une offre très agressive sur un appel d'offres destiné à un autre entrepreneur.

Contrairement à Montréal où les entrepreneurs se partageaient les contrats, c'est un fonctionnaire municipal, Claude Deguise, qui annonçait le gagnant des appels d'offres. Gilles Théberge précise toutefois que celui-ci ne faisait que transmettre les ordres de son supérieur. «Pour nous, le boss c'était Vaillancourt.»

Peu après le lancement des appels d'offres, les entrepreneurs qui étaient pressentis pour gagner un contrat recevaient un appel de Claude Deguise. Ils devaient lui rendre visite pour recevoir la liste des autres participants. Les entrepreneurs devaient appeler leurs concurrents pour leur indiquer à quel montant préparer leurs soumissions de complaisance.

Gilles Théberge a expliqué que la collusion à Laval a permis aux entrepreneurs de gonfler leur marge de profits à plus de 30 %. «Ça comprenait le 2 % qu'on devait remettre», a-t-il précisé. Selon lui, la marge de profit d'une telle entreprise est normalement de 8 % à 10 % et peut même être de 0 % en début d'année quand les carnets de commandes sont vides.

La commissaire France Charbonneau a demandé au témoin s'il arrivait que des contrats soient octroyés en libre concurrence à Laval. «Il n'y en a aucune à Laval», a répondu le témoin.



Qualité de l'asphalte en baisse


La qualité de l'asphalte est en baisse depuis dix ans au Québec, favorisant l'apparition des nids-de-poule notamment à Montréal, a affirmé le témoin Gilles Théberge devant la commission Charbonneau.



L'escouade Marteau fait baisser le prix de l'asphalte à Montréal

Cet ex-employé de l'entreprise de construction Sintra poursuit son témoignage aujourd'hui. La commissaire France Charbonneau a questionné le témoin sur les conséquences de la collusion entre les producteurs du bitume qu'il a dénoncée la semaine dernière. «Est-ce que vous pourriez nous dire si la qualité du bitume était ainsi faite pour que l'asphalte soit à refaire chaque année ?»

Sans se prétendre expert en qualité de l'asphalte, Gilles Théberge a indiqué «les raffineries vont rechercher tout ce qu'elles peuvent pour faire leurs huiles et ce qu'il reste comme résidus est envoyé pour faire l'asphalte. C'est comme prendre un citron et plus tu le presses, moins il va en sortir. Ce qui ressort des raffineries est de moindre qualité selon moi.»

Le témoin a dit constater une baisse de qualité depuis 10 ans, sinon plus, dans la qualité de l'asphalte produite au Québec. Il s'est dit convaincu que ces difficultés ont pour conséquence directe l'apparition précoce des nids-de-poule dans la métropole.

Le témoin a toutefois précisé que la collusion n'était pas nécessairement directement responsable de la baisse de qualité. Il a souligné que les producteurs doivent s'approvisionner aux raffineries et que ce sont elles qui sont responsables de la qualité du sous-produit utilisé pour la conception du bitume. «Les producteurs d'asphalte n'ont pas le choix de prendre le produit qu'on leur vend.»

Sur le fonctionnement de la collusion, Gilles Théberge a expliqué que les entreprises devaient rester dans leur domaine pour que le partage des contrats fonctionne. «Pour que l'harmonisation fonctionne, tout le monde doit reste dans son domaine.» Son ancien employeur, Sintra, a ainsi fréquemment confié des travaux de trottoirs en sous-traitance à des entreprises comme Mivela et BP Asphalte.

Gilles Théberge a aussi affirmé que certains arrondissements étaient réservés à des entrepreneurs. Verdun était ainsi le territoire de Catcan, entreprise de Tony Catania. St-Laurent était divisé en trois entreprises : Infrabec de Lino Zambito, Garnier Construction de Joe Borsellino et Construction Frank Catania de Paolo Catania.

Le témoin a aussi détaillé certaines pratiques de corruption employées à l'époque. Il a ainsi relaté avoir payé pour plus de 25 000 $ en aménagement paysager à l'ex-fonctionnaire Luc Leclerc pour le remercier pour les faux extras accordés sur leurs chantiers. Selon Gilles Théberge, sa complaisance pour autoriser des suppléments était bien connue dans le milieu. «Tout le monde voulait Luc Leclerc sur son chantier», a-t-il expliqué.

Sintra invitait une ou deux fois par année des fonctionnaires de la Ville de Montréal et du ministère des Transports du Québec dans une loge du Centre Bell. Théberge ne se rappelle toutefois pas le nom des fonctionnaires provinciaux invités.