La collusion était répandue dans la couronne nord de Montréal, a révélé l'ingénieur à la retraite Roger Desbois. L'homme a affirmé avoir manoeuvré pour obtenir une part des contrats dans six villes de la région.

L'ancien directeur du développement des affaires d'AECOM-Tecsult a reconnu avoir fait du financement électoral illégal à Saint-Jérôme, Blainville, Lorraine, Bois-des-Fillion, Ste-Thérèse et Mascouche. Chaque fois, l'objectif était d'obtenir une part des contrats des municipalités. La manoeuvre n'a pas toujours fonctionné malgré les milliers de dollars versés.

À Blainville par exemple, Tecsult décide de soutenir la candidature de Daniel Ratthé à la mairie de Blainville lors de l'élection de 2005 afin de maintenir sa part de marché dans la municipalité de la couronne nord. Roger Desbois dit avoir livré 30 000 $ à  la résidence de l'ex-maire Pierre Gingras pour la campagne de son dauphin. Daniel Ratthé a finalement échoué à se faire élire maire.

Daniel Ratthé a plus tard été élu député provincial de Blainville sous la bannière du Parti québécois puis de la Coalition avenir Québec. Il en a été expulsé mardi en raison des allégations circulant à son sujet. La part de marché de Tecsult a rapidement diminué après l'échec de la campagne de Ratthé.

À St-Jérôme, Roger Desbois a indiqué qu'un système de collusion similaire à celui de Laval est en place à St-Jérôme. Selon lui, deux ingénieurs ont successivement orchestré le partage des contrats, Richard Bégin et Éric Frigon.

Roger Desbois affirme que Tecsult a été sollicitée dès 2006 pour la campagne de 2009 du maire de St-Jérôme, Marc Gascon. L'ingénieur dit avoir remis 5000 $ en 2006 puis des montants similaires en 2007 et 2008 à son organisateur, Christian Côté. Ce n'est pas la première fois que le nom de Christian Côté sort à la Commission. L'entrepreneur Lino Zambito avait affirmé que celui-ci lui avait demandé 50 000 $ pour le financement de l'ex-ministre libéral David Whissell. L'ex-vice-président de Dessau, Rosaire Sauriol, a également désigné Côté comme l'intermédiaire de sa firme pour le financement politique à St-Jérôme.



À Lorraine aussi Tecsult a misé sur le mauvais cheval en 2009 en appuyant la candidature de Boniface Dalle-Vedove. Celui-ci sera finalement battu par Ramez Ayoub. Après l'élection, Roger Desbois dit avoir rencontré l'actuel maire. Celui-ci lui aurait dit «Roger, je t'aime bien, mais j'ai de nouveaux amis.» L'ingénieur a précisé que seulement deux firmes décrochaient les contrats à Lorraine, soit Cima + et Tecsult.

La firme de Desbois a aussi essuyé un échec à Mascouche où elle a remis 15 000$ pour la campagne à la mairie de Serge Hamelin en 2005. Il a finalement été défait par le maire Marcotte. L'organisateur de Serge Hamelin voulait 30 000$, mais la facture a été partagée en deux avec Cima+ pour limiter les risques.

Roger Desbois a refusé de contribuer au parti en 2009 puisque Tecsult avait acheté une petite firme qui avait sa part des contrats de Mascouche. Il ne voyait donc pas l'intérêt de soutenir l'opposition et a plutôt choisi d'appuyer la campagne du maire Marcotte avec un 5000$.

À Ste-Thérèse, Roger Desbois dit avoir financé les campagnes 2005 et 2009 de la mairesse Sylvie Surprenant. L'ingénieur affirme qu'il n'était pas tant intéressé par les contrats municipaux que par l'usine de filtration des eaux.

À Bois-des-Fillion, Roger Desbois dit ne jamais avoir financé la campagne du maire Paul Laroque. Il a toutefois précisé avoir fait de la collusion avec les autres firmes de génie pour s'y partager les mandats.

Financement provincial



Le témoignage de Roger Desbois a également permis de comprendre que la firme de génie Tecsult ne se contentait pas de participer à la collusion à Laval, elle faisait aussi dans le financement politique illégal des partis provinciaux, a indiqué l'ingénieur à la retraite Roger Desbois devant la commission Charbonneau.

Donateur régulier au Parti libéral et au Parti québécois, Roger Desbois a reconnu avoir obtenu un remboursement pour ses contributions. En fait, le témoin a reconnu ne jamais avoir été un donateur par conviction politique, mais parce que son patron, Luc Benoît, le lui avait demandé.

De 1997 à 2008, Roger Desbois et sa famille ont versé 23 900 $ au PLQ, 12 995 $ au PQ et 1000 $ à l'ADQ.

L'homme assure qu'il n'était pas le seul à contribuer illégalement. La Commission a présenté une liste de dons d'un chargé de projet de Tecsult, Gérald Pilon. Celui-ci a versé au PQ 17 500 $ et 17 000 $ au PLQ. Desbois est convaincu qu'il a aussi eu droit à un remboursement.

Les firmes de génie aussi payaient le 2%

Plus tôt, Roger Desbois a affirmé que le paiement du 2% ne se limitait pas aux entreprises de construction: les firmes de génie devaient aussi verser un pourcentage de leurs contrats obtenus avec la Ville de Laval au parti de l'ex-maire Gilles Vaillancourt, selon l'ingénieur Roger Desbois. Le témoin de la commission Charbonneau affirme que neuf firmes ont participé à un système de collusion dirigé par un fonctionnaire, Claude Deguise.

Hier, Roger Desbois a admis avoir été un maillon important dans la collusion parmi les entreprises de construction. Il a dit avoir servi de «collecteur» du 2% de leurs contrats et même avoir orchestré le partage des contrats.

Aujourd'hui, il reconnaît que, comme à Montréal, la collusion s'étendait également aux firmes de génie à Laval. «On se parle entre nous avant de présenter des offres de service», a reconnu Roger Desbois. Il a ainsi corroboré le témoignage de Jean Roberge, directeur général adjoint de Laval, qui avait exposé l'existence de ce système la semaine dernière.

Le PRO des Lavallois touchait aussi une ristourne de ce système, selon Desbois. Les firmes devaient verser 2% des contrats obtenus en appel d'offres. Un 1% devait aussi être versé lorsqu'une firme prêtait un de ses employés à la Ville de Laval, un mandat moins payant.

Roger Desbois a affirmé personnellement avoir fait deux versements au PRO des Lavallois par l'intermédiaire du notaire Jean Gauthier, arrêté le 9 mai par l'UPAC. C'est son patron, Luc Benoît, qui a quitté AECOM l'automne dernier, qui lui a fourni les paiements de 25 000$ puis de 55 000$.

Selon Roger Desbois, la collusion a débuté dès l'introduction de la loi 106 au début des années 2000. Cette loi devait mettre fin à la pratique qui permettait aux Villes de choisir les firmes de génie sans appel d'offres. Elle forçait la tenue d'un appel d'offres sur invitation de 2 firmes pour les contrats de 25 000$ à 100 000$ et ouverts à tous pour les plus de 100 000$.

Rapidement, un système s'est toutefois mis en place à Laval pour contourner cette nouvelle loi.

Un système simple

Roger Desbois a indiqué que neuf firmes ont pris part au système, soit Dessau, Cima+, Tecsult, Génivar, MLC, Filiatrault-McNeill, Équilux (anciennement Jobin-Courtemanche), BaFa et Triax. Il a précisé que la dernière était très peu présente.

Le fonctionnement du système était simple : avant le lancement d'un appel d'offres, le directeur du génie urbain, Claude Deguise, appelait la firme choisie pour l'informer qu'elle allait remporter le processus. La firme devait ensuite appeler les autres participants pour leur dire à quel prix soumissionner.

Le témoin a indiqué avoir utilisé des Post-It jaunes pour noter les prix fournis par ses concurrents, pour les détruire par la suite.

Roger Desbois a admis que le système ne fonctionnait pas parfaitement. Sa firme a ainsi remporté trois appels d'offres destinés à une autre par erreur.

Le témoin affirme que le système s'est effondré après la mise en place de l'escouade Marteau et de la commission Charbonneau. Soudain, les appels de la Ville de Laval pour truquer les contrats ont cessé. Aussitôt, les prix ont baissé. Certaines firmes ont décroché des contrats à moitié prix.

Le témoin a admis avoir un sens éthique «peu développé». À l'achat de Tecsult par AECOM, les employés de la firme ont dû suivre une formation informatique pour les sensibiliser aux problèmes de corruption. Roger Desbois a bien rigolé ce matin devant la Commission en se rappelant ses nombreux échecs avant de trouver le bon comportement éthique. «Quand on avait mal répondu, ça faisait gling-gling-gling. Peut-être que mon éthique était pas assez développée», a rigolé le témoin.

Hier, le témoin de la commission Charbonneau a affirmé hier avoir transféré 2,7 millions au parti de l'ex-maire grâce à un système de ristourne de 2% des contrats municipaux.

Roger Desbois a directement impliqué Gilles Vaillancourt dans le stratagème. Il dit avoir reçu de lui des conseils dans le partage des contrats et des demandes de pots-de-vin pour des fonctionnaires.

Des regrets pour Desbois

L'ingénieur à la retraite Roger Desbois a exprimé ses regrets devant la commission Charbonneau pour son rôle dans la collusion et la corruption. «Je ne suis pas fier de ce que j'ai fait. Après coup, on regrette. Je vais subir les conséquences, je n'ai pas le choix d'assumer», a-t-il déclaré à la fin de son témoignage. Il a paru particulièrement ému lorsqu'il a dit regretter les conséquences pour sa famille.