Treize ans et 18 millions plus tard, le chemin Nordet, dont la construction par Asphalte Desjardins pourrait être le résultat d'une magouille orchestrée par l'ex-organisateur politique Gilles Cloutier, est emprunté par seulement 300 véhicules par jour.

Un achalandage «insignifiant», selon les ingénieurs consultés par La Presse, pour cette route sinueuse de Lanaudière que l'ex-ministre péquiste des Transports, Guy Chevrette, avait pourtant présentée comme «un lien vital» peu avant sa construction, en 2000. Visite d'une route que plusieurs qualifient de «piste cyclable fort payée».

La journée était idéale, hier, pour profiter de la «piste cyclable de Chevrette», comme l'ont rebaptisée les amateurs de vélo qui se réjouissent, non sans ironie, d'une route quasi désertée par les voitures depuis sa construction, payée à grands frais par les contribuables québécois.

«Si on a une crevaison ici, on va attendre longtemps avant qu'une voiture passe pour nous donner un lift», a lancé Andy Ingallati, venu de Montréal avec quatre amis pour rouler sur le chemin Nordet, qui relie la municipalité de Lac-Supérieur à la ville de Saint-Donat. «On a bien ri en regardant la commission Charbonneau», a-t-il ajouté, en référence au témoignage de Gilles Cloutier, qui a éclaboussé l'ex-ministre Guy Chevrette à son passage devant la Commission.

M. Cloutier a rapporté avoir manigancé afin que la firme d'ingénierie Roche obtienne le contrat de construction de la route, après quoi il a dit avoir rencontré Guy Chevrette, qui lui aurait demandé de confier le contrat de construction à «un ami commun»: Asphalte Desjardins. Cloutier aurait ensuite facilité le trucage de l'appel d'offres pour que cette entreprise le remporte.

Treize ans et encore des inquiétudes

À l'annonce de la construction de ce qui allait devenir le chemin Nordet, l'Association professionnelle des ingénieurs du gouvernement du Québec (APIGQ) qualifiait le projet d'«inutile et coûteux». Guy Chevrette défendait plutôt une route qui allait accompagner les projets d'expansion d'Intrawest, propriétaire de la station touristique du mont Tremblant.

Plus d'une décennie plus tard, la route dérange. «On parlait de développement, et on n'en a pas eu», s'est désolé Michel Gagnon, président de l'Association professionnelle des ingénieurs du gouvernement du Québec (APIGQ). «Chevrette n'avait pas d'argumentaire. Il parlait d'un lien vital, mais c'est une route ultra-secondaire. On ne comprend toujours pas, mais 13 ans plus tard, on a un début d'explication», a-t-il déclaré, en référence aux allégations de Gilles Cloutier.

Les résidants du secteur parlent quant à eux d'une route «inutile» et «bidon», mais également d'un axe routier fort bruyant, car il attire son lot de motocyclistes. «Une fois, j'ai compté 56 motos de suite», a rapporté Jules Blanchette. «On a pensé vendre la maison. L'été, on ne s'entend plus», a pesté Monique Lesage, fort peu convaincue de l'effet persuasif des panneaux routiers recommandant aux motocyclistes de réduire le bruit.

300 véhicules par jour

«Non! On parle de l'affluence par jour ou par heure?», s'est exclamé un spécialiste des routes quand La Presse l'a avisé des estimations de Transports Québec, qui évalue que 300 véhicules empruntent le chemin Nordet chaque jour. «L'ingénieur qui a signé les plans d'une route pour faire passer 285 véhicules [le chiffre avancé en 2000] devrait être radié.»

Or, retrouver cet ingénieur pourrait se révéler complexe, la route ayant fait l'objet d'un protocole d'entente entre le ministère des Transports (MTQ) et la MRC de Matawinie. C'est pour cette raison, de l'avis de l'APIGQ, qu'il n'y a pas eu d'étude d'opportunité, un processus qui sert à vérifier la topographie et l'achalandage d'un secteur.

Questionnée à ce sujet, une porte-parole du MTQ a cessé de rappeler La Presse, vendredi. Seule justification si elle en est une, le Plan de transport de la région de Lanaudière, publié en décembre 2000, indiquait que le nouveau lien intermunicipal allait permettre d'améliorer «la desserte touristique du nord-ouest de la région».

Vendredi, les touristes étaient rares sur le chemin Nordet. Mais les résidants, eux, ne s'empêchaient pas de profiter des beautés de leur région pour autant. «C'est une très belle route, ça a valu la peine», a lancé une dame de Saint-Donat croisée sur le chemin, qui a dit adorer faire de grandes marches le long de cette route tranquille.

- Avec Serge Laplante

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Scepticisme dans les municipalités

Dans les villes, les directeurs sont indifférents. Ou sceptiques. Michel Séguin, directeur général de Saint-Donat, doute que la route ait produit les résultats escomptés. «Avec le recul, c'est peut-être un peu cher pour une piste cyclable. On n'avait pas besoin de deux voies de trois mètres, croit-il. Mais il faut se rappeler de la dynamique autour de Tremblant, qui avait peu ou pas de lien avec Lanaudière. Aujourd'hui, à voir l'achalandage, je ne dirais pas que les gens des Laurentides viennent à Lanaudière.»

Guy Raynault, directeur du Conseil régional de développement de Lanaudière, n'a pas suivi le dossier. «Je n'ai pas vraiment d'opinion. Lanaudière a d'autres problèmes, comme le financement en santé.»

À Saint-Faustin, le directeur Jacques Brisebois ne remarque pas d'impact important dans les Laurentides. En 2000, il était maire de Mont-Laurier et siégeait au comité du mont Tremblant «Les gens de Lanaudière voulaient désenclaver la région vers le mont Tremblant. Ça n'a jamais été terminé finalement, la route n'est toujours pas finie. C'est principalement Saint-Donat qui aurait pu en profiter.»