Un haut dirigeant de la firme de génie Dessau a reconnu devant la commission Charbonneau avoir commis «un acte criminel» en recourant massivement à la fausse facturation pour financer des partis politiques, tant provinciaux que municipaux.

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En 5 ans, Rosaire Sauriol admet ainsi avoir versé pour 2 millions en contributions illégales grâce à des fausses factures.

«Vous dites que c'est un acte criminel et vous avez raison», a reconnu d'entrée de jeu le vice-président de Dessau. Ébranlé par la création de l'escouade Marteau et la multiplication des enquêtes journalistiques, Rosaire Sauriol explique que Dessau a décidé de dénoncer elle-même sa participation à ce stratagème aux autorités fiscales. «Le cancer était partout et il fallait arrêter», a dit-il.

La firme a dû payer des amendes correspondant au total des fausses factures faites entre mai 2005 et avril 2010, soit 2 millions.

Prenant «la responsabilité totale de ces gestes» chez Dessau, Rosaire Sauriol a expliqué en être venu à recourir au stratagème de fausse facturation pour répondre à l'appétit de plus en plus grand des partis politiques. Pour l'instant, l'ingénieur n'a pas encore révélé quelles formations provinciales et municipales ont bénéficié de la générosité de sa firme. Contrairement à BPR, Rosaire Sauriol se voyait mal demander aux 400 actionnaires de Dessau de puiser dans leurs économies personnelles pour assouvir la soif d'argent des partis. Pour trouver l'argent liquide, l'ingénieur explique être entré en contact avec Réjean Robert, de l'entreprise Rapid check. Celui-ci se chargeait de faire de fausses factures au nom de compagnies bidon. Quelques jours plus tard, Dessau recevait 90% du montant payé en argent liquide.

Deux élus pincés

Par ailleurs, la Commission est revenue sur les deux conseillers municipaux d'Union Montréal pris la main dans le sac en 2002 après avoir exigé 75 000$ à un agent double de la Sûreté du Québec pour financer le parti de l'ex-maire Gérald Tremblay. L'écoute électronique permet de comprendre que la pratique était fréquente.

La commission Charbonneau a entendu cet après-midi un enquêteur de la Sûreté du Québec, le sergent Jocelyn Nadeau. Celui-ci a présenté les détails du projet Sushi, qui a mené en 2002 à l'arrestation des deux conseillers Irving Grundman et René Dussault, d'Union Montréal.

Alors que la police enquête sur des activités illégales d'un entrepreneur, José Sardano, les policiers interceptent une conversation permettant de comprendre que celui-ci est à planifier le paiement d'un pot-de-vin à deux élus. Une nouvelle enquête est alors lancée sur cette affaire touchant un changement de zonage pour la construction d'un centre communautaire copte.

L'enquête passe près d'avorter quand Sardano est arrêté dans l'autre affaire le visant. Mais les policiers, qui ont placé sous écoute les conseillers, comprennent rapidement que le projet n'est pas mort et ils décident alors d'envoyer un agent double pour payer le pot-de-vin.

Les conversations électroniques permettent de comprendre qu'Irving Grundman était à initier René Dussault au financement illégal. Cet ex-directeur général du Canadien (1978-1983) lui prodigue divers conseils sur les façons d'exiger un paiement, notamment de ne pas dire à voix haute le montant et de se méfier des micros. «Tous les partis ont besoin d'argent» lui explique-t-il.

«L'argent, c'est pas pour eux, c'est pour le parti», en déduit le sergent Nadeau. Arrêté après le paiement de 75 000$, Grundman a toutefois toujours refusé d'en dire plus à ce sujet. Après avoir plaidé coupable, les deux conseillers ont été condamné à une peine de 23 mois à purger dans la collectivité.

De l'incompétence à la collusion

Ce matin, la lourdeur administrative et l'incompétence à la Ville de Montréal ont favorisé l'implantation de la collusion dans la métropole, a estimé devant la commission Charbonneau le président de la firme de génie BPR, Pierre Lavallée. Celui-ci estime que la métropole est l'une des plus complexes parmi les grandes villes du monde.

L'ingénieur est à terminer son témoignage ce matin. Il a dénoncé la lourdeur administrative de la Ville de Montréal, citant en exemple un chantier de trottoirs sur la rue McGill.

«Comment ça se fait que ça prend 18 mois décider de la largeur des trottoirs sur la rue McGill? La mobilité urbaine n'arrive pas à se décider si c'est mieux 10 ou 18 pieds. Pendant ce temps là, du monde attend et facture en extra», s'est indigné l'ingénieur. Il a ajouté qu'«une réunion à 20 personnes pour décider ça, il n'y a pas une entreprise qui ne ferait pas faillite. C'est des processus tellement complexes.» Il a précisé que la décision sur la largeur des trottoirs a été finalement prise seulement après que le contrat ait été octroyé.

La juge France Charbonneau en est venue à demander si cette complexité était un stratagème pour favoriser les extras ou simplement un signe d'incompétence. «Je pense qu'il y en a qui aiment les systèmes complexes par incompétence. Ça a sûrement favorisé tout le bordel de collusion parce que ça devient facile dans un système perdu», a répondu Lavallée.

L'ingénieur a ajouté qu'«il y a trop de réunions, trop de décisions remises en question constamment. Les délais sont énormes.»

Pierre Lavallée, qui souligne avoir travaillé pour les Villes de Paris, New York et San Francisco, Montréal lui semble parmi les plus complexes au monde.

BPR se savait dans l'illégalité

L'ingénieur a par ailleurs reconnu que sa firme savait qu'elle agissait dans l'illégalité en participant au système de partage des contrats à Montréal.

«On était conscient que c'était illégal», a reconnu l'ingénieur qui témoigne depuis hier après-midi. Cet aveu a quelque peu surpris le commissaire Renaud Lachance qui lui a demandé pourquoi il n'avait pas dénoncé le système s'il était si mal à l'aise.

«On n'a pas assez pensé», a offert pour toute explication Pierre Lavallée.

Renaud Lachance lui a alors demandé s'il n'avait pas dénoncé parce qu'il jugeait faible le risque de se faire prendre. L'ingénieur a alors comparé sa participation à la collusion à «rouler à 118km/h sur l'autoroute».

«Oui, mais là vous rouliez à 130km/h», lui a rétorqué le commissaire. «Oui, c'était stupide de l'avoir fait»

Pierre Lavallée a assuré que sa firme a accepté de participer au système de collusion essentiellement par crainte de perdre des contrats et non pour en gagner davantage. «Si on ne contribuait pas, ça aurait pu avoir une influence négative. On faisait les contributions de façon défensive.»

L'ingénieur se dit convaincu que son entreprise aurait bien tiré son épingle du jeu sans collusion.

Petit changement de programme à la commission Charbonneau. Après le témoignage de Pierre Lavallée,  les commissaires feront témoigner un enquêteur de la Sûreté du Québec, le sergent Jocelyn Nadeau, avant d'entendre l'ingénieur Rosaire Sauriol, vice-président principal chez Dessau.