Le cadre d'une entreprise fabriquant des tuyaux, Michel Cadotte, s'est fait demander 150 000$ en argent comptant par l'entrepreneur Nicolo Milioto afin de «récompenser» trois fonctionnaires de la Ville de Montréal qui avaient permis l'utilisation de ses produits dans la métropole.

Le directeur des ventes de l'entreprise IPEX, située dans l'arrondissement de Saint-Laurent, a affirmé hier, à la commission Charbonneau, que cette demande de M. Milioto est survenue quelques semaines seulement après que son entreprise a enfin réussi à vendre des tuyaux en PVC pour le marché montréalais, où on n'utilise que des conduites en fonte, plus coûteuses.

Selon le témoignage de M. Cadotte, IPEX a produit à l'automne 2006 un volume de conduites appelées Terra-Brut, dont le prix est estimé entre 600 000$ et 800 000$, afin de répondre à des chantiers prévus par la Ville de Montréal.

La moitié du stock - des ventes de 416 000$ - était déjà écoulée lorsque M. Cadotte a reçu un appel de M. Milioto l'invitant à se rendre aux bureaux de sa société, Mivela Construction, dans l'est de Montréal.

«Il m'a dit: M. Cadotte, ça va bien, c'est parti, mais il y a juste une chose qu'il faut que vous sachiez: en raison de l'acceptation de vos produits à la Ville de Montréal, j'ai du monde à récompenser.»

Selon M. Cadotte, M. Milioto a exigé une somme de «150 000$ en argent comptant», qu'IPEX devrait verser afin de «récompenser trois personnes de la Ville de Montréal».

M. Cadotte a transmis la demande à ses supérieurs, même s'il connaissait d'avance leur réponse. IPEX a refusé de verser le pot-de-vin. Depuis, l'entreprise n'a pas revendu un seul bout de tuyau à Montréal.

Selon le site internet de l'entreprise, IPEX est «le plus grand fabricant de tuyauterie thermoplastique en Amérique du Nord». Elle existe depuis plus de 50 ans. Son siège social est situé à L'Île-des-Soeurs, dans l'arrondissement de Verdun, et son usine principale est située dans l'arrondissement de Saint-Laurent. Selon M. Cadotte, IPEX verse 450 000$ en taxes municipales à la Ville de Montréal seulement pour son usine.

Mais elle n'a jamais réussi à lui vendre ses tuyaux.

Conduites douteuses

En 2006, sur un chantier, M. Cadotte découvre que des conduites en fonte de piètre qualité ne portent même pas les sceaux de certification canadienne (CSA) ou québécoise (BNQ). L'entrepreneur affirme avoir fait plusieurs démarches à ce sujet auprès de la Ville de Montréal, et en particulier envers l'ingénieur Robert Marcil, alors directeur de la division voirie.

Quelques semaines plus tard, l'entrepreneur en construction Paolo Catania prend contact avec M. Cadotte pour l'inviter aux bureaux de Construction F. Catania, à Brossard. M. Catania lui présente alors M. Milioto, qui s'intéresse aux conduites d'IPEX.

Une nouvelle rencontre a lieu en juin, et Michel Cadotte a la nette impression qu'«il y a un lien» entre M. Milioto et la Ville. On parle même de prix.

En juillet 2006, M. Cadotte reçoit la nouvelle qu'il n'espérait plus: Robert Marcil a adressé une directive aux ingénieurs de la Ville pour admettre l'utilisation de conduites Terra-Brut, en raison d'une mauvaise qualité des conduites de fonte disponibles sur le marché.

Le triomphe sera cependant de courte durée. Quelques mois plus tard, après le refus d'IPEX de payer les 150 000$ demandés, les ventes cessent. Dans une directive datée d'avril 2007 écrite par Robert Marcil, l'utilisation de conduites en fonte a été rétablie, alors que toute mention d'utilisation des conduites Terra-Brut a disparu.