L'existence d'un système de collusion à Montréal était tellement connue que même un entrepreneur de Québec a tenté d'en profiter. L'entrepreneur Michel Leclerc a affirmé mardi matin devant la commission Charbonneau que la firme Bé-Con, de Québec, lui avait demandé 25 000$ pour présenter une soumission de complaisance.

> Sur Twitter: notre journaliste Pierre-André Normandin

Michel Leclerc, propriétaire de Terramex, poursuit son témoignage ce matin et passe en revue des dizaines de contrats truqués par un groupe d'entreprises. Lors d'un appel d'offres, Bé-Con s'est présentée à Montréal pour prendre les documents afin d'y prendre part.

Le représentant de la compagnie aurait dit à M. Leclerc qu'il aimait la façon dont ça fonctionnait à Montréal et qu'il voulait en bénéficier. Comme il ne souhaitait pas réellement faire les travaux, il aurait simplement demandé 25 000$ pour se «tasser».

Michel Leclerc affirme qu'il n'a jamais donné suite à sa demande - il n'a tout simplement pas rappelé cet entrepreneur, qui n'est pas revenu à la charge.

Ce n'était pas la première fois qu'un entrepreneur tentait de tirer profit du système de collusion. En juillet 2007, la Ville s'apprêtait à adjuger un contrat pour la rue de la Commune, dans le Vieux-Montréal. Un petit entrepreneur de Montréal, Cirillo F. Mormina, a pris les documents nécessaires pour faire une offre.

Lorsque Michel Leclerc a fait sa «tournée des entrepreneurs» pour les informer du prix qu'ils devaient demander dans leur soumission, Mormina a exigé 50 000$ pour sa collaboration. Leclerc a accepté et payé la petite entreprise, qui lui a fourni une fausse facture pour des travaux jamais exécutés.

L'incursion de Mormina dans le système n'a pas plu aux membres du cartel, a dit Leclerc. Joe Borsellino, de Garnier, a dit qu'il allait «s'en occuper». L'entrepreneur n'a plus fait de soumissions, a indiqué Leclerc.

Dénonciation

Michel Leclerc a par ailleurs révélé que son associé, Luc Bédard, avait dénoncé à deux reprises au vérificateur général de Montréal, Jacques Bergeron, le gonflement des prix de certains contrats. Terramex était consterné de voir des écarts de 500 000$ à 700 000$ entre son évaluation du juste prix de certains travaux et les contrats adjugés.

Parfois, cet important écart servait simplement à remplir les poches de certains entrepreneurs. En mars 2008, Mivela a remporté un appel d'offres pour 3,4 millions. Michel Leclerc affirmé que c'est son entreprise qui a fait tout le travail pour 2,6 millions. La compagnie de Nicolo Milioto, qui gérait le truquage des appels d'offres, a donc empoché un profit de 700 000$ pour avoir servi d'intermédiaire.

«Un profit de 700 000$ pour avoir les bras croisés?» s'est étonnée la procureure en chef de la Commission, Me Sonia Lebel. «Bien, il y a la politique à payer», a rétorqué Leclerc. Il a précisé que, malgré ce profit, son collègue de Mivela avait tout de même tenté de se faire payer une redevance de 3%.

La procureure en chef, Me Sonia Lebel, pense en finir avec le témoignage de Michel Leclerc ce matin. L'Association de la construction du Québec et la Ville de Montréal ont manifesté le désir de contre-interroger le témoin.

Des entrepreneurs attitrés aux villes de la Rive-Nord

Le président des Excavations Panthère, André Durocher, a raconté mardi à la Commission Charbonneau, comment les entrepreneurs de la Rive-Nord de Montréal, comme lui, étaient exclus des contrats à Montréal et Laval parce qu'y sévissaient de petits groupes fermés.

Et même sur la Rive-Nord, selon lui, depuis 2002, des entrepreneurs sont attitrés à certaines villes, tout comme des firmes de génie.

Il a aussi relaté que sur la Rive-Nord, il y avait des liens de proximité entre les firmes de génie et les entrepreneurs en construction, ces liens s'exprimant dans les tâches des laboratoires, dans les matériaux et dans l'exécution des travaux.

S'il n'est pas acoquiné avec une firme de génie, a-t-il expliqué, un entrepreneur se fera compliquer la vie de différentes façons par celle-ci. Elle exigera par exemple un taux de compaction du sol impossible à réaliser, ce qui ralentira ses travaux. Et si l'entrepreneur tarde trop à réaliser ses travaux, il devra payer une amende.

Plus tôt dans la journée, Pierre Papineau, de Comerco Courtage plus, qui offrait de l'assurance et des cautionnements aux entrepreneurs en construction, avait rapporté qu'un de ses clients entrepreneurs, Tony Conte, de Conex Construction, lui avait demandé s'il pouvait lui dire si les Excavations Panthère, aussi client de Comerco, comptait soumissionner sur un projet sur la rue Chabanel, à Montréal.

M. Papineau connaissait personnellement le propriétaire d'Excavations Panthère, André Durocher, et a donc voulu le mettre en garde. Il avait déjà entendu parler du fait qu'un groupe fermé d'entrepreneurs avait été formé à Montréal et que lui, oeuvrant normalement à Blainville, Laval et Boisbriand, ne pourrait pénétrer ce marché.

De plus, M. Papineau était au courant du fait que M. Durocher avait déjà vu de son équipement être vandalisé et incendié dans le passé.

-Avec La Presse Canadienne