L'entrepreneur en construction Michel Leclerc, de la société Terramex, a affirmé lundi qu'il avait versé environ 250 000$ comptant en 10 ans à des entrepreneurs mafieux pour obtenir des contrats de la Ville de Montréal dans les domaines des égouts, des trottoirs et des parcs.

Devant la commission Charbonneau, lundi, M. Leclerc a expliqué que, de 1997 à 2006, il avait payé l'équivalent de 3% de la valeur des contrats de construction de trottoirs et d'aménagement qu'il obtenait de la Ville de Montréal ou en sous-traitance. Il versait cet argent au président de la firme Mivela Construction, Nicolo Milioto, proche du clan Rizzuto et considéré comme le principal intermédiaire entre la mafia et les entreprises de construction à Montréal.

M. Milioto aurait expliqué à M. Leclerc que ces 3% étaient versés «pour le politique». Cette affirmation recoupe les propos de l'ex-entrepreneur Lino Zambito, qui dit avoir payé à M. Milioto une ristourne de 3% de la valeur de ses contrats pour le parti de l'ex-maire Gérald Tremblay, de 2000 à 2009.

Au départ, son entreprise, Terramex, se spécialisait surtout dans l'aménagement de parcs et de places publiques. M. Leclerc affirme que, de 1986 à 1997, son entreprise a réalisé de nombreux contrats obtenus de manière légitime à Montréal.

À partir de 2004-2005, a-t-il indiqué, il a toutefois dû se résigner à verser aussi une redevance équivalant à 1,5% de ses contrats d'aménagement urbain au «petit cartel» de l'entrepreneur Franco Capello, de la firme Excavations Super.

Intimidation

M. Leclerc a commencé à revecoir en 1997 des appels d'entrepreneurs concurrents qui lui conseillaient de ne pas soumissionner certains contrats.

La première fois, a-t-il raconté hier, c'est le dirigeant de la firme Garnier, Joe Borsellino, qui lui aurait suggéré de ne pas tenter d'obtenir un contrat d'égout. M. Leclerc a refusé de plier. Le dirigeant de Garnier lui aurait offert 50 000$ pour ne pas soumissionner. Il a de nouveau refusé.

Dans la semaine suivante, il y a eu un appel à la bombe aux bureaiux de son entreprise. Des équipements ont été volés ou endommagés dans ses chantiers.

Quelques mois plus tard, M. Borsellino a récidivé en lui disant de ne pas soumissionner un contrat important pour le réaménagement de la place Jacques-Cartier, dans le Vieux-Montréal. M. Leclerc a encore une fois refusé de plier. Son interlocuteur l'a avisé qu'il le rappellerait.

Deux jours plus tard, M. Leclerc lui a redonné la même réponse. «O.K., d'abord, on descend à ton bureau», a répondu M. Borsellino. M. Leclerc a alors avisé son associé et son évaluateur qu'il aurait «une petite visite». Ils ont quitté le bureau et se sont donné rendez-vous le lendemain chez M. Leclerc pour préparer leur soumission.

«Ils nous ont cherchés toute la fin de semaine», a-t-il affirmé. M. Borsellino s'est même présenté à une fête d'enfants à la maison privée de son associé, à Rawdon. Le lundi matin, ils ne sont pas allés au bureau. «Je savais qu'il y aurait des gens qui nous attendaient», a expliqué M. Leclerc. Une camionnette de l'entreprise Garnier était garée devant la porte de Terramex dès 7h. M. Leclerc a quand même obtenu le contrat de la place Jacques-Cartier.

En 1998, ce fut au tour de Nicolo Milioto d'aller rencontrer M. Leclerc, après que ce dernier eut décidé de miser sur un contrat de trottoirs avec agrégats exposés et bordure en granit.

«Il m'a dit qu'à Montréal, tous les agrégats exposés, c'est lui qui s'en occupait.» Il lui a ensuite proposé de lui céder en sous-traitance les bordures de trottoir en granit, contre une commission équivalant à 3% de la valeur de ses contrats.

Les stratagèmes de Michel Leclerc



Après avoir soumissionné sans contrainte durant des années des contrats de parcs dans les arrondissements de la ville, l'entreprise de Michel Leclerc, Terrramex, s'est prêtée à toutes sortes de ruses pour soumissionner dans des arrondissements «réservés», et bien surveillés, au cours des années 2000.

Selon lui, Verdun était le fief de Catcan, LaSalle était le territoire d'Excavations Super et Saint-Laurent, celui de la firme Garnier. À Outremont, Canbec régnait sur les contrats publics et à Westmount, l'entreprise TGA dominait le marché.

Pour déjouer l'hégémonie locale de ces entrepreneurs, M. Leclerc affirme avoir déjà demandé à sa fille de déposer une soumission à Verdun.

M. Leclerc arrivait parfois avec deux enveloppes en main: une soumission gonflée qu'il présentait à la dernière minute quand tout allait comme prévu et une soumission normale au cas où un entrepreneur «étranger» au cartel local se présentait avec une soumission.