La probité de l'ingénieur Yves Themens a été durement mise en doute, hier, par la juge France Charbonneau, qui a remis en question son absence de réaction devant les prix galopants des centaines de contrats de voirie qu'il a gérés pour la Ville de Montréal de 2004 à 2011.

Pendant qu'il expliquait à un avocat de la Ville de Montréal pourquoi il n'a jamais sonné l'alarme en constatant les hausses de coûts, la présidente de la Commission d'enquête sur l'octroi et la gestion des contrats publics dans l'industrie de la construction s'est impatientée et a demandé à M. Themens s'il n'était qu'un rubber stamp.

«Si vous vous rendiez compte qu'il y avait des matériaux, par exemple, qui passaient du simple au double dans le coût, vous ne vous posiez pas de questions? Vous ne vous demandiez pas, vous signiez, et ça finit là?», lui a demandé la présidente.

Visiblement ébranlé, le témoin a répété ce qu'il avait déjà dit à l'avocat de la Ville, Me Martin St-Jean: «ce n'était pas [sa] responsabilité», ce sont les ingénieurs à la conception qui étaient responsables des estimations de coûts dans les appels d'offres.

Pendant presque sept ans, M. Themens a reçu, vérifié, approuvé et fait cheminer dans la machine administrative de la Ville de Montréal des dizaines d'appels d'offres truqués par l'ingénieur à la retraite Gilles Surprenant. Les manipulations de coûts réalisées par celui-ci au début des années 2000 avaient laissé une «trace» indélébile dans les outils utilisés par la Ville pour estimer le coût de ces contrats (voir autre texte).

«Ce n'était pas mon travail de contester et de surveiller chacune des estimations préparées par chacun des ingénieurs», a affirmé M. Themens. Il a par ailleurs reconnu qu'il n'existait pas de personnel ou de ressources pour faire de telles vérifications dans les paliers administratifs supérieurs, où cheminaient ensuite ses contrats.

Des dizaines d'appels

La journée avait mal commencé pour M. Themens. Dès la reprise de l'interrogatoire principal par la procureure de la Commission, Me Claudine Roy, il a dû expliquer pourquoi plusieurs dizaines de communications avec des entrepreneurs en construction - y compris hors des heures de bureau - figuraient sur le relevé d'appels de son téléphone cellulaire.

Le relevé de ses appels, rendu public par la Commission, révèle 46 conversations avec l'entreprise de construction ATG ou son dirigeant Alex Sciascia. L'ingénieur a aussi communiqué 43 fois avec l'entreprise Pavages CSF ou Domenico Camalleri, son principal dirigeant. Il a aussi eu 25 autres communications avec Joey Piazza, de Construction TGA.

Hors, depuis le début de son témoignage, M. Themens a souligné à maintes reprises avoir peu de relations directes avec les entrepreneurs, en raison du caractère administratif de son travail. Il a imputé la plupart des appels d'entrepreneurs à des clarifications sur des détails administratifs.

M. Themens a aussi été pris de court lorsque la Commission a produit une facture de 2700$ payée par l'entreprise de Lino Zambito, Infrabec, pour un séjour d'une semaine dans un hôtel du Mexique qui incluait «chambres, repas, boissons, fiestas, activités sportives, taxes et pourboires» pour trois personnes, en novembre 2008.

Ces trois personnes étaient M. Themens et les ingénieurs Gilles Surprenant et Luc Leclerc.

M. Themens a reconnu avoir fait ce voyage, mais a affirmé qu'il avait versé 1000$ à une entreprise de voyage référée par M. Zambito pour payer son séjour à Nuevo Vallarta. M. Themens s'est engagé à présenter d'ici 10 jours, à la Commission, un double du chèque de 1000$ qu'il a signé pour ses frais de voyage.