L'ingénieur et chef d'équipe à la division de la voirie de la Ville de Montréal Gilles Vézina a vu de nombreux matchs de hockey du Canadien de Montréal, au Centre Bell, grâce à des billets que lui donnaient des entrepreneurs en construction. Il a partagé des dizaines de repas avec des dirigeants d'entreprises qui faisaient affaire avec la Ville. Il n'a jamais rien payé.

«C'était une pratique courante», a-t-il affirmé plusieurs fois, hier, à son premier jour à la barre des témoins de la commission Charbonneau. «Toutes les années où j'ai été à la Ville, ç'a toujours été un principe, une pratique établie. On avait des rencontres, on était invités au hockey.»

Il a assisté aux mariages du fils de Tony Catania, dirigeant de Catcan, et d'une des filles de Nicolo Milioto, propriétaire de Mivela Construction, qui se spécialise dans les trottoirs. Il est allé aux tournois de golf, aux épluchettes de blé d'Inde et aux dîners de Noël qu'organisaient annuellement plusieurs des entrepreneurs qu'il côtoyait régulièrement dans le cadre de ses activités professionnelles pour la Ville de Montréal.

Une fois, M. Milioto, lié de près à la mafia sicilienne, l'a même invité au Club 357 de la rue de la Commune, dans le Vieux-Montréal, un club très privé où il faut être invité par des membres. Il ne s'en souvenait pas. Puis, il s'est souvenu. «Une belle place.» Pourquoi y avait-il été invité? «Pour souper, a-t-il répondu. Aucune raison particulière.»

N'a-t-il jamais senti qu'il pouvait ainsi se placer «dans une position un peu délicate», sur le plan éthique? lui a demandé hier une procureure de la commission Charbonneau, Me Claudine Roy.

«Je vais vous répondre ceci, a dit M. Vézina. En aucun temps, avec tous ces avantages-là qu'on a reçus, je peux pas dire que ça ait changé mon opinion ou ma décision sur quelque dossier que ce soit, pour avantager l'entrepreneur. J'ai jamais fait ça.»

Suspendu

Gilles Vézina est ingénieur depuis 50 ans. Diplômé de l'École polytechnique en 1962, il est entré au service de la Ville de Montréal la même année. Sauf pour une éclipse de 11 ans durant laquelle il a travaillé dans le secteur privé, de 1975 à 1986, il a passé l'essentiel de sa carrière à la Ville de Montréal.

Depuis la semaine dernière, il est suspendu de ses fonctions, sans solde, à la suite des nombreuses allégations (non prouvées à ce jour) faites à son sujet par plusieurs témoins depuis le mois dernier.

Avant d'être suspendu par la Ville, M. Vézina chapeautait une équipe d'ingénieurs et de professionnels responsables de la surveillance des travaux de voirie. Il n'intervenait pas dans l'attribution des contrats, a-t-il précisé, mais il distribuait les contrats aux ingénieurs, chargés de projet. À la fin des travaux, il devait aussi approuver les ordres de paiement que recommandait l'ingénieur au dossier, avant de le faire cheminer à un palier supérieur, pour approbation finale.

À ce titre, il a été pendant 19 ans le supérieur immédiat de l'ingénieur Luc Leclerc, qui a reconnu devant la Commission avoir gonflé les coûts de centaines de contrats qu'il a supervisés en échange de pots-de-vin et de faveurs qu'il a estimées à environ 500 000$. À quelques exceptions près, M. Vézina a approuvé tous ces contrats.

Son témoignage se poursuit mardi.