L'ingénieur Gilles Surprenant a reconnu avoir empoché environ 90 pots-de-vin d'une valeur d'environ 600 000$ des entreprises qui faisaient des contrats d'égouts pour la Ville de Montréal. L'homme a relaté ses débuts dans le système de collusion après avoir été intimidé par l'entrepreneur Frank Catania au début des années 1990.

Surnommé «Monsieur TPS», cet ingénieur à la retraite de la Ville de Montréal a témoigné devant la Commission Charbonneau (CEIC) cet après-midi. 20 minutes après avoir le début de son témoignage, il a reconnu avoir reçu des «redevances» des compagnies d'égout.



À la fin de son témoignage, la Commission a déposé un sac de plastique contenant 122 800$ d'argent comptant. Gilles Surprenant a reconnu avoir remis de lui-même cet argent aux enquêteurs de la CEIC le 31 août dernier. Il s'agit de ce qu'il lui reste des pots-de-vin reçus ces vingt dernières années.

Il a relaté la première fois qu'il a accepté un pot-de-vin, au début des années 1990. L'événement se serait produit dans un projet d'égouts à Westmount. Cette Ville était alors indépendante, mais son système d'égout raccordé à Montréal.

Ce projet avait été évalué à 250 000$, mais le plus bas soumissionnaire avait offert de faire le travail à 500 000$, Construction F. Catania. Un collègue de M. Surprenant lui aurait suggéré d'aller rencontrer en personne Frank Catania.

Une rencontre entre le fonctionnaire et l'entrepreneur a ainsi été organisée dans un restaurant. Quand il a informé M. Catania qu'il ne pourrait pas faire accepter le projet à ce prix, «il m'a passé une remarque bizarre. 'Les gens qui nous empêchent de manger, on les tasse'», relate l'ingénieur à la retraite.

Gilles Surprenant a dit qu'il a été intimité et avoir réfléchi à cette rencontre pendant une semaine. Il a finalement décidé de «faire passer» le contrat. Il a expliqué à son supérieur avoir mal évalué le coût du projet.

Satisfait de voir son contrat octroyé, Frank Catania a convoqué dans son bureau Gilles Surprenant et remis une enveloppe de 3000$ à 4000$, se souvient l'ingénieur.

Lors de son témoignage, Lino Zambito a révélé que son surnom était M. TPS en raison de la ristourne de 1% du montant des contrats qu'il réussissait à confier au cartel des égouts de la métropole, selon le témoignage de l'ex-entrepreneur Lino Zambito.

L'interrogatoire de Gilles Surprenant devait commencer ce matin, mais son entrée en scène a été retardée par une requête des médias pour rendre publique la portion encore sous ordonnance de non-publication du témoignage de Lino Zambito. Le débat se déroule lui-même sous ordonnance de non-publication et nous ne pouvons dévoiler les détails ayant retardé la reprise des activités publiques de la Commission.

Gilles Surprenant travaillait à la conception des plans et devis de la Ville de Montréal. Lino Zambito a affirmé que l'ingénieur gonflait artificiellement le prix des estimations pour offrir une meilleure marge de profit aux entreprises du cartel. Pour ses services, il aurait touché 1% des contrats truqués. Dans le milieu, il avait hérité du surnom «M. TPS» pour «taxe pour Surprenant».

À elle seule, la compagnie de Zambito, Infrabec, aurait versé 200 000$ à M. Surprenant sur une période de 8 à 10 ans. Infrabec avait droit à 14% des contrats selon l'entente du cartel. Une douzaine d'entreprises auraient participé au cartel, selon le témoignage de l'ex-entrepreneur, ce qui aurait permis à l'homme d'empocher une coquette somme.

L'ex-entrepreneur a également affirmé qu'il avait payé 3 ou 4 voyages au Mexique à M. Surprenant, à l'hôtel de son père, le Marival. Lino Zambito a affirmé avoir été présent une seule fois avec lui dans le complexe hôtelier.

Depuis sa retraite, Gilles Surprenant travaille pour des firmes de génie privées décrochant de nombreux contrats à la Ville de Montréal.

Du 20 juin 2011 au 14 septembre 2012, Gilles Surprenant était chargé de projet en génie civil pour l'entreprise québécoise Cegertec WorleyParsons, qui fait affaire avec plusieurs villes, ministères et sociétés d'État. Durant son mandat, celui que l'on surnomme «monsieur TPS» a notamment été responsable d'un projet de réfection et de réaménagement de l'île Sainte-Hélène et du circuit Gilles-Villeneuve. «Nous avons gagné le contrat dans les règles par appel d'offres avec prix, affirme André Tousignant, directeur des communications de l'entreprise. Il est toutefois probable que le curriculum vitae de M. Surprenant ait figuré dans la proposition, comme c'est généralement le cas pour les chargés de projet.»

Embauché à cause d'un surplus de travail, l'ex-ingénieur de la Ville de Montréal a été remercié à la mi-septembre «parce que plusieurs projets étaient terminés», explique M. Tousignant. «Sur le plan des compétences, nous n'avons rien à lui reprocher. Nous savions qu'il était un ancien de la Ville, mais il a respecté les normes d'éthique et les délais de prescription», assure-t-il.

La question de la collusion et de la corruption sera à nouveau à l'avant-plan de l'actualité aujourd'hui. En plus de ce témoignage, l'ex-directeur général de Montréal, Robert Abdallah, a convoqué la presse à 10 heures ce matin pour se défendre des accusations de Lino Zambito. Il nie avoir empoché un pot-de-vin de 300 000$ après avoir imposé à Infrabec l'achat de tuyaux de béton armé d'une compagnie de la Rive-Sud, Tremca.

Par la voix de son attachée de presse, le maire de Montréal, Gérald Tremblay, a fait savoir qu'il ne commenterait pas les propos tenus par Gilles Surprenant devant la Commission Charbonneau.  «M. Tremblay ne commentera pas chaque témoignage devant la Commission Charbonneau, a déclaré son attachée de presse, Martine Painchaud. Il souhaite laisser la Commission faire son travail.»

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Gilles Surprenant en bref

Ingénieur de la Ville de Montréal de 1976 à 2009.

A débuté à la planification des travaux dans les égouts.

Diplômé de Polytechnique en 1975.

Affecté aux plans et devis des projets d'égouts en 1987.

Restera à ce poste jusqu'à sa retraite en novembre 2009.

- Avec Valérie Simard

Photo fournie par la Commission.