Les témoignages entendus lors des audiences de la commission Charbonneau ne représentent que la pointe de l'iceberg. Longtemps avant de défiler au petit écran, les témoins ont été interrogés par les procureurs et les enquêteurs de la Commission. Leurs affirmations ont ensuite été vérifiées avant qu'ils ne soient invités à larguer leurs bombes devant les commissaires et les caméras, assurent plusieurs spécialistes des commissions d'enquête.

Des témoignages préparés

Les procureurs connaissent déjà la majorité des réponses à leurs questions. «C'est sûr que les procureurs savent déjà où ils s'en vont», dit Charles-Maxime Panaccio, vice-doyen aux études de la faculté de droit de l'Université d'Ottawa. Plusieurs indices permettent de comprendre que Lino Zambito a été interrogé au préalable, à commencer par le fait qu'il hésite rarement dans ses réponses, même quand il est question de faits survenus il y a près d'une décennie. L'entrepreneur n'est pas représenté par un avocat, signe qu'il semble collaborer pleinement avec la Commission. Les commissaires ne prennent pas part à ce préinterrogatoire, mais connaissent néanmoins l'essentiel de ce que les témoins comptent dévoiler, précise M. Panaccio. Les règles prévoient que les procureurs doivent leur présenter un «résumé de témoignage anticipé». Les spécialistes soulignent qu'il est plutôt rare que les témoins entendus ne soient pas interrogés au préalable. Exception notable, l'avocat Marc Bellemare avait refusé d'être rencontré avant son passage devant la commission Bastarache sur la nomination des juges.

Des «allégations» corroborées

Les personnes éclaboussées par le témoignage de Lino Zambito ont déploré que la commission Charbonneau entende ces «allégations» sans les avoir vérifiées. Or, les préinterrogatoires servent justement à vérifier les informations présentées durant les audiences. «Ils ne peuvent pas simplement envoyer des témoins à la barre balancer toutes sortes d'allégations sans vérification, ce serait irresponsable», dit Ed Ratushny, professeur émérite de l'Université d'Ottawa, qui a étudié des dizaines de commissions d'enquête. Les règles de procédure prévoient en effet que des enquêteurs de la commission Charbonneau «analysent, valident et corroborent l'ensemble de l'information qui leur est soumise» durant les préinterrogatoires. À défaut de prouver la véracité des informations avancées, les enquêteurs doivent à tout le moins trouver d'autres témoins et preuves «qui vont dans le même sens», dit Charles-Maxime Panaccio. Indice que des vérifications ont été faites avant de laisser Lino Zambito donner le nom de plusieurs fonctionnaires et proches du maire Tremblay, la Commission aurait pu imposer un huis clos afin d'assurer «la protection contre la diffamation» des personnes nommées.

Immunité en béton

Le procureur en chef de la commission Charbonneau, Me Sylvain Lussier, avait laissé planer un doute au début des audiences, mais on a rapidement mis les choses au clair: les témoins profitent d'une immunité à toute épreuve. Une déclaration de Me Lussier à La Presse avait jeté une douche froide lors du témoignage de l'ex-directeur de l'Unité anticollusion Jacques Duchesneau, mais l'avocat avait finalement assuré que le témoin était protégé contre les poursuites en diffamation pour tout ce qu'il déclare devant la Commission.

Témoigner, seule défense

Les personnes éclaboussées devant la commission Charbonneau ont un seul recours à leur portée pour laver leur nom: demander de témoigner à leur tour. Pour l'instant, plusieurs des gens éclaboussés ont simplement nié dans les médias les affirmations de Lino Zambito, dont l'ex-directeur général de Montréal Robert Abdallah et l'ex-président du comité exécutif de la métropole Frank Zampino. Charles-Maxime Panaccio reconnaît que les affirmations de l'entrepreneur à leur sujet ne sont que des ouï-dire pour l'instant. D'autres témoignages seront nécessaires pour que les deux soient blâmés dans le rapport final.

Blâmés avertis

Les personnes risquant de faire l'objet d'un blâme dans le rapport devront avoir l'occasion de s'expliquer. Elles peuvent obtenir le statut de participant à la Commission et ainsi contre-interroger les témoins. Ed Ratushny souligne qu'un blâme pourrait être invalidé si un juge estime que la Commission n'a pas suffisamment donné l'occasion à une personne de se défendre ou si elle a fait preuve de parti pris contre elle. C'est ce qui est arrivé à la suite du dépôt du rapport Gomery. La Cour fédérale a estimé que l'ancien premier ministre Jean Chrétien avait été victime d'un parti pris de la Commission et fait tomber le blâme contre lui, souligne M. Ratushny, auteur du livre The Conduct of Public Inquiries: Law, Policy and Practice.