Devant la commission Charbonneau, Lino Zambito a parlé de la «vieille» tradition des «paniers de Noël» offerts par des entrepreneurs aux élus et qui donnait presque lieu à une procession de livreurs. C'est le genre d'anecdote, digne des rois mages, que le nouveau propriétaire d'une maison vendue par un ingénieur de la Ville de Montréal a racontée à La Presse.

La scène est cocasse. Elle s'est produite deux ans au mois de décembre, se souvient notre interlocuteur. «Le premier Noël dans notre nouvelle maison, beaucoup de travailleurs de la construction venaient nous livrer des bouteilles de vin. Au début, on ne comprenait pas trop pourquoi. Certains arrivaient dans leur gros F-150 aux couleurs de l'entreprise. Nous en trouvions aussi en rentrant le soir devant notre porte et même sous notre abri Tempo! La première année, j'ai remis tous ces cadeaux à leur destinataire original. Mais l'année suivante, je les ai gardés. Il n'avait qu'à faire son changement d'adresse!», dit-il en riant.

La Presse s'est aussi entretenue avec François (nom fictif), ex-fonctionnaire de Montréal dont nous préservons l'identité. Il a travaillé au sein du service de la réalisation des travaux. Il se souvient d'une tentative de corruption par un entrepreneur bien connu qui lui a tendu une enveloppe contenant une carte de crédit sur un chantier du centre-ville. «Il m'a dit: Va au resto avec, mets du gaz dans ton auto, mais rapporte-moi les factures.»

Selon notre source, ce stratagème est doublement bénéfique pour le corrupteur. «Non seulement il s'assure que le surveillant de chantier qui accepte le cadeau sera plus coopératif, mais en prime, il obtient des factures de dépenses dont il a besoin pour sa comptabilité et blanchir ses revenus en cash.»

Notre interlocuteur a décliné l'offre, au grand étonnement, dit-il, d'un collègue témoin de la scène.

Un système qui perdure

Aujourd'hui, François n'est pas surpris d'entendre le nom d'ex-collègues cités par Lino Zambito, que ce soit Robert Marcil ou Gilles Surprenant, dit monsieur TPS, mais aussi surnommé dans le milieu Elvis Gratton, en raison de sa propension à porter des bijoux tape-à-l'oeil.

Sans oublier Luc Leclerc, avec sa voiture sport dernier cri évoquée devant la commission Charbonneau. Des doutes entourent aussi la construction de sa maison de Brossard. Le procureur de la Commission a fait allusion au rôle qu'aurait joué la famille Catania.

François, quant à lui, parle du pavé uni de son entrée qui aurait été offert par un autre important entrepreneur. En entrevue à La Presse, Luc Leclerc a démenti ces allégations.

«Je l'ai acheté chez un paysagiste de la Rive-Sud. J'ai toutes les factures de construction de ma maison.» Mais il dit aussi avoir gagné 150 pi2 de pavé uni lors d'un tournoi de golf «il y a 15 ou 20 ans», lorsqu'il habitait l'Ouest-de-l'Île. Il a aussi nié toute faveur de la famille Catania, ses anciens voisins.

Selon François, il est «trop facile» de se contenter de «taper» sur ces trois personnes. «Le système a perduré à Montréal, d'autres personnes ont pris le relais.»

Lino Zambito a détaillé les faveurs pécuniaires et les cadeaux dont il aurait fait bénéficier divers fonctionnaires, en particulier à Noël.

«Pendant un mois, on avait un employé à temps plein. Va acheter les paniers, emballe les paniers. Puis honnêtement, c'était rendu plus compliqué. Le monde était mal à l'aise de recevoir.»

Il s'est attardé sur un séjour de golf en compagnie des ingénieurs Luc Leclerc et Gilles Surprenant dans un hôtel de Puerto Vallarta, dont son père est actionnaire. On se souviendra aussi des billets pour des concerts de Céline Dion et de Madonna offerts à l'ex-ministre Nathalie Normandeau, un cadeau révélé par l'équipe de l'émission Enquête à Radio-Canada.

- Avec Judith Lachapelle