L'ancien entrepreneur en construction Lino Zambito a affirmé jeudi qu'il versait à la mafia une «cote» équivalente à 2,5% de la valeur de ses contrats de la Ville de Montréal, dans le cadre d'un «système de collusion» établi depuis des années dans la métropole, mais aussi dans les banlieues.

En à peine plus d'une heure, jeudi après-midi, l'ancien dirigeant de la société de construction Infrabec, de Boisbriand, a évoqué l'existence de marchés «hermétiquement fermés», appartenant chacun à un «lot d'entrepreneurs», à Montréal, à Laval, sur la Rive-Sud et dans la couronne nord, où il brassait aussi d'importantes affaires jusqu'à l'an dernier.

Cette «division» des marchés touchait aussi le ministère des Transports du Québec (MTQ), a-t-il souligné lors de son témoignage devant la Commission d'enquête sur la gestion et l'octroi des contrats publics dans l'industrie de la construction, présidée par la juge France Charbonneau.

Argent comptant, fausses factures

«Montréal avait déjà son lot d'entrepreneurs, la Rive-Sud avait son lot, la Rive-Nord. Au MTQ, il y avait certaines entreprises, plus grosses, qui soumissionnaient sur des projets plus importants et qui avaient leur lot d'entrepreneurs. Il y avait un genre de pacte de non-agression, une loi non écrite entre entrepreneurs, où chacun avait son secteur.»

Dans des vidéos de surveillance réalisées par la Gendarmerie royale du Canada (GRC) dans le cadre de l'enquête antimafia Colisée entre 2002 et 2006, et présentées mercredi devant la Commission, M. Zambito a été vu, le 24 décembre 2005, donnant une somme en espèces à Nicolo Milioto, ex-président de Construction Mivela, décrit comme le principal entremetteur entre l'industrie de la construction et la mafia sicilienne.

Ces «paiements» étaient faits en espèces. Afin de pouvoir disposer des fortes sommes nécessaires en liquide, M. Zambito avait recours aux services d'entreprises «spécialisées» dans les fausses factures. Celle avec laquelle il faisait le plus souvent affaire louait des camions.

«Selon le volume d'ouvrage que nous faisions, on pouvait avoir 40 ou 50 camions en location par jour, a-t-il expliqué. C'était donc facile d'ajouter 10 ou 15 camions fictifs. On se faisait facturer, on faisait un paiement par chèque. Il y avait un pourcentage qui était pris par l'entreprise, et le reste nous revenait en argent comptant.»

15% des contrats d'égout

M. Zambito a raconté que pour obtenir un premier contrat de réfection d'égout sur le «marché hermétique» de Montréal en 2003, il a présenté une soumission à un prix frôlant le prix coûtant. Un contrat d'environ 500 000$, à l'angle de la rue Notre-Dame et du boulevard Pie-IX, dans l'est de la ville. Personne ne l'a joint pour lui dire qu'il n'était pas à sa place.

Par contre, affirme-t-il, dans la première semaine de chantier, un ingénieur de la Ville de Montréal, Luc Leclerc, lui a dit qu'«il avait eu vent que les autres entrepreneurs n'étaient pas contents». «Il m'a laissé sous-entendre qu'il était mandaté pour me rendre la vie dure», a raconté M. Zambito.

Il n'a pas précisé comment il a accédé ensuite au système de collusion auquel il participait. Il dit avoir connu ses meilleures années à Montréal entre 2004 et 2006. Il aurait réalisé des contrats totalisant de 10 à 12 millions par année, représentant «entre 14 et 15%» des contrats d'égouts municipaux accordés par la Ville de Montréal.

M. Zambito poursuivra son témoignage lundi devant la commission Charbonneau.