Le système de collusion entre mafiosi et entrepreneurs existe toujours au Québec, et il continue de provoquer une hausse du coût des contrats publics, a déclaré un enquêteur spécialisé devant la commission Charbonneau, hier.

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Des entrepreneurs dans l'antre de la mafia

Le lieutenant-détective Éric Vecchio, un enquêteur de la police de Montréal qui a été prêté à la Commission, a fait cette déclaration après une longue journée de présentation de photos et de vidéos montrant les membres de la mafia qui festoient et comptent des montagnes d'argent en compagnie de certains des entrepreneurs obtenant le plus de contrats publics de la région métropolitaine.

Le témoin affirme toutefois qu'une chose a changé depuis que les histoires de collusion et de corruption sont davantage sous la loupe: plutôt qu'une hausse artificielle de 30% des prix des contrats, le «système» engendrerait maintenant une hausse d'environ 15%, selon les informations de la police.

On a ramené le montant à des chiffres qu'on laisse croire plus raisonnables», a déclaré l'enquêteur Vecchio.

L'argent versé à la mafia - les sources divergent pour savoir s'il s'agit de 2%, 3% ou 5% de la valeur des contrats - constitue une taxe qui achète la paix, une certaine protection et permet que «les choses fonctionnent bien», dit-il.

Ça vient laisser croire, même si ce n'est pas nécessairement toujours le cas, qu'en cotisant, on devient intouchable», dit-il.

Des images qui moisissaient

Les vidéos présentées pendant son témoignage ont été tournées par la GRC au café de la rue Jarry qui servait de quartier général au clan Rizzuto, pendant l'enquête antimafia Colisée, conclue en 2006. Elles n'ont toutefois pas été utilisées dans les procès criminels des mafiosi, et moisissaient depuis sur des disques durs confidentiels de la police, loin du regard du public.

La commission Charbonneau a dû se battre devant les tribunaux afin de les obtenir. Ses enquêteurs y ont reconnu des hommes d'affaires qui n'avaient jamais été identifiés dans les rapports d'enquête de la GRC.

On y voit des dirigeants de la mafia comme Nick Rizzuto, Francesco Arcadi, Paolo Renda et Rocco Sollecito qui embrassent des entrepreneurs, qui leur tapotent le visage et, surtout, qui comptent et recomptent sans fin des liasses de billets, qu'ils cachent ensuite souvent dans leurs chaussettes.

L'entrepreneur que l'on voit le plus souvent est Nicolo Milioto, que l'enquêteur a décrit comme le middleman, le lien entre la mafia et l'industrie de la construction. Milioto était propriétaire de Construction Mivela, une entreprise qui remporte chaque année plusieurs contrats de construction de trottoirs. C'est maintenant son gendre qui dirige la société, selon les registres officiels.

L'important entrepreneur Frank Catania, fondateur de Construction Frank Catania, a aussi été filmé en rencontre avec Rizzuto, ce qui avait déjà été dévoilé en cour.

D'autres vidéos montrent Accursio Sciascia, de Pavage ATG, qui verse de l'argent à M. Rizzuto.

Domenico Arcuri, de Construction Mirabeau et Construction DAMC, connu pour remporter plusieurs contrats publics dans l'est de Montréal et pour avoir participé à une activité de financement avec la ministre Line Beauchamp en 2009, est aussi filmé en train de verser de l'argent.  

Frank Enrico Andreoli, dit Rick, de chez Construction Canben, qui est aussi un acteur important du déneigement à Montréal, ainsi que Lino Zambito, d'Infrabec, arrêté pour corruption à Boisbriand, sont aussi filmés en train de fraterniser avec la mafia.

Réunion au siège social

Le policier a aussi déposé en preuve une photo où le patriarche mafieux Nicolo Rizzuto trône au bout de la table lors d'une réunion au siège social de Construction Frank Catania, à Brossard. La photo non datée a été saisie par l'escouade Marteau de la Sûreté du Québec en 2011. On y voit le fondateur de l'entreprise, Frank Catania, assis directement à côté de M. Rizzuto, en présence de plusieurs convives qui partagent un repas. À l'arrière, on entrevoit des dessins de projets de construction.

Le printemps dernier, le fils de Frank Catania, Paolo, qui dirige maintenant l'entreprise, a été arrêté par l'escouade Marteau avec l'ancien numéro 2 de la Ville de Montréal Frank Zampino, à la suite d'une enquête sur des malversations dans la vente du Faubourg Contrecoeur.

Pasquale Fedele, un ancien ingénieur du groupe Catania qui est parti pour fonder l'entreprise Civbec, figure aussi sur la photo. M. Fedele a été arrêté deux fois par l'escouade Marteau: une fois pour les malversations dans le dossier montréalais du Faubourg Contrecoeur, et une fois lors du démantèlement d'un cartel allégué d'entrepreneurs, à Saint-Jean-sur-Richelieu.

Un autre individu reconnu par les enquêteurs sur la photo est Antonino Borsellino, ex-président de l'Association Cattolica Eraclea, du nom du village sicilien où est né le parrain Vito Rizzuto. Les autres participants n'ont pas été identifiés.

- Avec la collaboration de Pierre-André Normandin

Photo déposée en preuve à la Commission Charbonneau