En Ontario, la mafia est présente mais discrète. Ses membres n'ont pas d'écusson, pas de signe distinctif. Ils vont travailler. Ils portent veston et cravate. Ils contribuent aux oeuvres de charité, ils aident au financement des écoles. Ils sont bien intégrés dans leur milieu.

Devant la commission Charbonneau, l'enquêteur Mike Amato, de la police régionale de York, au nord de Toronto, a décrit jeudi une organisation infiltrée dans tous les secteurs de l'économie légitime, qu'elle utilise pour blanchir l'argent sale provenant de ses activités criminelles.

«Ils n'opèrent pas dans le noir. Ils opèrent au grand jour, parmi nous. La mafia d'aujourd'hui est partout autour de nous. Ce sont des personnes qui sont comptables, banquiers, chauffeurs d'autobus. Ils sont dans tous les aspects de la vie publique», a déclaré M. Amato.

Il a d'ailleurs insisté sur le fait que l'image des vieux messieurs, attablés à un café et qui jouent aux cartes toute la journée, ne relève plus, aujourd'hui, que du folklore.

«Nous avons découvert qu'une bonne partie des gens que nous soupçonnions d'appartenir à ces organisations gère des commerces. Cela peut être un centre de jardinage, une boulangerie, un service de location de limousines ou une institution financière. Ils sont présents dans la collecte des ordures, le camionnage, les boîtes de nuit», a assuré M. Amato, qui possède 25 ans d'expérience policière.

Ces entreprises légitimes sont essentielles pour offrir une façade de respectabilité dans leur communauté et pour justifier leurs avoirs et leur train de vie, sans attirer l'attention du fisc.

«C'est important pour eux d'être engagés et bien intégrés dans leur communauté respective, a affirmé le policier. Tout le monde apprécie les gens d'affaires qui ont du succès.»

Sous le radar

M. Amato a confirmé que c'est la branche d'origine calabraise, 'Ndrangheta, qui occupe le devant de la scène mafieuse en Ontario. La Cosa Nostra sicilienne est aussi présente, notamment à Toronto. Les clans mafieux siciliens et calabrais, a-t-il ajouté, «coexistent et se rendent mutuellement service».

«Évidemment, il y a des conflits, de la violence, des attentats à la bombe. C'est prouvé, documenté. Mais pour ce que nous pouvons en voir, les deux groupes sont très habiles à rester sous le radar. Le degré de violence n'est pas très élevé», a expliqué M. Amato.

L'intrusion de ces organisations criminelles dans de nombreux secteurs économiques légitimes, en Ontario, rend aussi la tâche des services de renseignements policiers encore plus complexe, selon M. Amato.

L'enquêteur a d'ailleurs fait sourire les commissaires en disant que, contrairement aux policiers, les individus qu'il surveille «n'ont pas de contraintes bureaucratiques», et peuvent décider de se rencontrer à quelques heures d'avis à Genève ou à New York, si ça leur chante.

Il a par ailleurs confirmé que les familles connues et identifiées de la 'Ndrangheta en Ontario ont toujours des liens étroits avec des clans de la Calabre, en Italie, dont ils reçoivent à la fois les directives et l'assistance, au besoin.

Il a souligné qu'au cours d'une opération antimafia d'envergure en Calabre, en 2010, où 300 membres de la mafia furent interpellés, des «gens de l'Ontario, qui avaient des liens aussi au Québec,» faisaient partie des personnes arrêtées.