L'ex-directeur de l'Unité anticollusion, Jacques Duchesneau, a reconnu avoir rendu public son rapport sur l'industrie de la construction pour éviter qu'il ne soit tabletté par le gouvernement. L'ex-policier dit «ne pas avoir été impressionné» par le ministre des Transports de l'époque, Sam Hamad.

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Jacques Duchesneau, l'homme qui marchait sur l'eau

Questionné par le procureur en chef adjoint de la Commission, Jacques Duchesneau a reconnu être la source de certains reportages détaillant le contenu de son rapport avant que celui-ci ne soit officiellement rendu public, à la mi-septembre. L'ex-policier a pris cette décision après avoir rencontré l'ancien ministre des Transports, Sam Hamad, qui n'a pas du tout semblé intéressé par son travail, rédigé au terme de 18 mois d'enquête sur le milieu de la construction.

«On n'a pas fait tout ce travail pour que ça aille sur une tablette», a grommelé Jacques Duchesneau.

La rencontre a eu lieu le 1er septembre 2011, se rappelle l'ancien directeur de l'UAC. Il souhaitait profiter de cette rencontre pour exposer les risques de collusion affectant le MTQ, mais la froide réception du ministre a eu sur lui l'effet d'une douche froide. «Il ne m'écoutait même pas», a dénoncé l'ancien chef du Service de police de Montréal.

Pire, quand Jacques Duchesneau a voulu tendre au ministre une copie du rapport, Sam Hamad aurait refusé de la prendre. «Il n'a pas voulu mettre ses empreintes digitales [sur mon rapport]» a lancé Duchesneau. Pour appuyer ses dires, l'ex-policier a imité la gestuelle qu'aurait eu ministre, enfonçant sa têteentre ses épaules et reculant les mains. «C'était assez décevant merci.»

À la fin de se témoignage sur cet épisode, Me Chartrand, qui dirige l'interrogatoire, a demandé quelle avait été la réaction du ministre au contenu de sa présentation, à défaut d'avoir pris son rapport. «Je n'ai pas été impressionné par la réaction du ministre, je n'ai pas senti que ça l'intéressait», a insisté Jacques Duchesneau.

Des «impressions», dit Hamad

Questionné à l'Assemblée nationale, Sam Hamad a paru embarrassé par le témoignage de M. Duchesneau. A-t-il refusé une copie du rapport? «Je l'ai rencontré au ministère avec mon cabinet et mon cabinet a reçu le rapport. Donc il n'y a pas de problème là», a-t-il répondu.

Mais a-t-il refusé de recevoir une copie du rapport en main propre? «Il y avait le cabinet et le sous-ministre, et (M. Duchesneau) en passant relève du sous-ministre. C'est le sous-ministre qui reçoit le rapport. Ce n'est pas à moi (qu'il fallait) remettre le rapport», a-t-il affirmé.

Il juge «dommage» que M. Duchesneau ait eu «l'impression» que le rapport ne l'intéressait pas. Mais au-delà des impressions, a-t-il personnellement accepté une copie du rapport, et l'a-t-il lu? «C'est une impression et c'est dommage qu'il ait eu ça», a-t-il répété.

M. Hamad insiste qu'il s'agissait d'un «bon rapport». Et il ajoute que le ministère des Transports a mis en application les 44 recommandations du rapport.  

Alors pourquoi ne pas l'avoir rendu public? «On n'a pas eu le temps de le rendre public», a-t-il expliqué. Il rappelle qu'il y avait eu un remaniement ministériel au début septembre. M. Hamad avait alors hérité du ministère du Développement économique. Pierre Moreau lui avait succédé au ministère des Transports.

Mais comment expliquer que M. Duchesneau a senti le besoin de couler le rapport dans les médias pour le rendre public ? «C'est sa responsabilité. Demandez-lui, je ne sais pas», a lancé M. Hamad avant de mettre fin à l'échange avec les journalistes.

Autre menace de démission

Plus tôt dans son témoignage, jeudi, M. Duchesneau a révélé qu'il avait menacé de démissionner une autre fois de son poste, à la fin de 2010, cette fois après que le milieu politique soit devenu frileux à la suite de reportages laissant planer des doutes sur son intégrité lors de son passage en politique municipale.

Jacques Duchesneau a exprimé sa lassitude de voir ce qu'il appelait une vieille histoire revenir ponctuellement dans l'actualité pour laisser planer des doutes sur le financement de sa campagne électorale municipale en 1998.

Quand le réseau TVA et le Journal de Montréal ont ressorti cette histoire, il a été convoqué au ministère, où le ton a monté. Après un échange qu'il a qualifié de «musclé», on lui a dit qu'on voulait le suspendre. Il a juré qu'il n'avait rien à se reprocher, mais ses interlocuteurs répliquaient que c'était une question de perception.

Ensuite, M. Duchesneau a affirmé que c'est le cabinet du premier ministre qui a voulu le suspendre. Encore une fois, il a juré de sa probité. «J'ai dit: ''Je n'ai rien à me reprocher et vous ne me suspendrez pas, sinon je vais démissionner et faire ma propre conférence de presse''».

Finalement, il a appelé le ministre à demander au Directeur général des élections de faire enquête. L'enquête a duré trois mois - ce qu'il appelle son «purgatoire». Il est revenu à l'Unité anticollusion en février 2011, après avoir été blanchi par l'enquête du DGE.

Le témoignage de l'ex-directeur de l'UAC a pris fin vers 12h15 aujourd'hui. Exceptionnellement, la CEIC suspend ses activités jusqu'à lundi matin. Duchesneau doit poursuivre son témoignage jusqu'à la fin de la prochaine semaine.

-Avec La Presse Canadienne