Marc Bellemare avait bel et bien un rendez-vous au cabinet du premier ministre Charest le soir du 2 septembre 2003, révèle l'agenda qu'il a remis hier à la commission Bastarache.

La disquette qui contient l'agenda 2003-2004 n'a pas été altérée récemment, a conclu une expertise indépendante demandée par la Commission. Ce soir-là, M. Bellemare avait rendez-vous à 19h30 avec M. Charest, à son cabinet. Pour la même soirée est aussi inscrite une réunion du comité de direction de l'association de sa circonscription, Vanier, de 19h à 20h30. Comme les deux endroits sont à moins de 15 minutes en voiture, il est plausible qu'il ait pu se rendre aux deux.

Cette rencontre n'était pas à l'agenda du premier ministre, ce qui l'avait amené à soutenir qu'elle n'avait jamais eu lieu. Cette rencontre est cruciale, car c'est à ce moment que Me Bellemare aurait prévenu M. Charest qu'il était l'objet d'intenses pressions de la part de l'argentier libéral Franco Fava, qui désirait obtenir la nomination de libéraux à la magistrature.

Le procès-verbal de la réunion du comité de direction dans Vanier, aussi produit hier, montre qu'il a bien rencontré la douzaine de militants réunis et qu'il a même pris la parole.

Par ailleurs, l'agenda de Me Bellemare ne montre aucun rendez-vous avec Franco Fava aux mois de juillet et août 2003. C'est à cette période que, selon Me Bellemare, l'argentier du PLQ l'avait vu trois ou quatre fois pour exercer des pressions en faveur de candidats libéraux à la magistrature. On ne trouve pas davantage de rencontres planifiées avec Charles Rondeau, un autre collecteur de fonds libéral que l'ancien ministre disait avoir rencontré à l'époque.

Le document prévoit par ailleurs des rencontres avec M. Charest le 3 juillet et le 18 août 2003, des face-à-face qu'avait oubliés M. Bellemare dans son témoignage. On ne trouve pas non plus la rencontre du 8 janvier avec Jean Charest, un rendez-vous pourtant inscrit à l'agenda du premier ministre.

Après avoir entendu 43 personnes, la commission Bastarache a suspendu ses audiences hier jusqu'à jeudi prochain, alors que l'ex-ministre péquiste Linda Goupil viendra témoigner de son passage à la Justice. Elle sera la dernière personne à comparaître. Les procureurs se sont vite entendus hier pour qu'on présente les déclarations sous serment de deux militants libéraux de Vanier et de la femme de Marc Bellemare, Me Lu Chan Khuong, bâtonnière de Québec.

«Si on entend tout un chacun, on sera encore ici à Pâques», a résumé Guy Versailles, le porte-parole de la Commission. Le commissaire Bastarache a jusqu'à la fin du mois de janvier 2011 pour remettre son rapport au gouvernement, qui en disposera à sa guise.

Témoignage de Paul Bégin

Le ministre péquiste Paul Bégin a été responsable de la Justice sous trois premiers ministres: Jacques Parizeau, Lucien Bouchard et Bernard Landry.

Or, il n'a jamais consulté ses patrons sur les nominations à la Cour du Québec. Le choix des juges est la prérogative du responsable de la Justice, a-t-il soutenu.

Il admet avoir eu maintes représentations de collègues députés, des suggestions de candidats à la magistrature. Il n'en a jamais tenu compte.

«Le législateur a encadré le processus de nomination des juges et donné au titulaire de la Justice le mandat de faire le choix et de recommander. Le Conseil des ministres n'est qu'un tampon! On n'y marchande pas les mérites ou les démérites des candidats. Les juges sont indépendants, et leur première indépendance est de ne pas faire l'objet de discussions politiques», a expliqué M. Bégin.

Il n'était donc pas question de consulter le premier ministre - une pratique que Jean Charest semble avoir instaurée depuis son arrivée au pouvoir, en 2003.

«Je tiens pour acquis que, lorsqu'on nomme un ministre de la Justice, on sait quel rôle important il doit jouer. Il occupe une fonction particulière. Il est le jurisconsulte du gouvernement; c'est le seul qui peut dire non au premier ministre. Lui dire que la loi ne permet pas de faire ça. Son bon jugement, sa bonne foi devraient suffire...»

Nomination d'un ex-felquiste

Une seule fois, la nomination d'un juge a soulevé d'importants problèmes. Me Richard Therrien avait été nommé à la Cour du Québec en 1996. Or, en 1971, il avait plaidé coupable à une accusation de complicité après le fait dans l'enlèvement de Pierre Laporte. Il avait obtenu son pardon en 1984. L'enquête de sécurité n'avait rien trouvé et il n'en avait pas parlé à l'entrevue. Sans nommer Me Therrien, M. Bégin a souligné que quelqu'un avait dénoncé la situation auprès de lui dès le jour de la prestation de serment du magistrat. M. Bégin a porté plainte au Conseil de la magistrature, et Me Therrien n'a jamais siégé.

Pourtant, cet avocat était un candidat de premier ordre. «En toute franchise, c'était un des plus beaux curriculum vitae que j'aie vus de toute ma carrière», a soutenu Me Bégin.