Le mécanisme de nomination des juges à la Cour du Québec a été modifié avec l'arrivée au pouvoir de Jean Charest en 2003. Depuis sept ans, le premier ministre se garde le pouvoir d'influencer le choix du ministre de la Justice, en consultant directement la liste de tous les candidats jugés aptes à la magistrature.

Le témoignage du premier ministre Charest devant la Commission Bastarache, jeudi et hier, jette une lumière nouvelle sur les changements qui sont survenus avec son accession au pouvoir en 2003.

Dans des échanges serrés avec le procureur de Marc Bellemare, Me Jean-François Bertrand, M. Charest a expliqué que, comme chef du Conseil exécutif, il était normal qu'il ait accès à la «courte liste» des candidats jugés aptes à la magistrature. Cette liste lui est transmise à chaque occasion par Chantal Landry, employée au cabinet politique et responsable de l'ensemble des nominations du gouvernement.

Jeudi, M. Charest a même ajouté que l'allégeance politique du candidat pouvait à l'occasion être évoquée par Mme Landry et faire partie des considérations quant au choix. M. Charest a du même souffle suggéré qu'il privilégiait les candidats plus âgés, dans la cinquantaine, pour la magistrature.

Prédécesseurs

Or La Presse a consulté quelques principaux conseillers des premiers ministres Robert Bourassa, Daniel Johnson, Jacques Parizeau, Lucien Bouchard et Bernard Landry. Soucieux de ne pas se retrouver au centre d'une controverse publique, ces derniers tiennent à conserver l'anonymat. Mais leur verdict est clair; dans tous les cas, les premiers ministres apprenaient la recommandation de leur ministre de la Justice au plus tôt quelques heures avant le conseil des ministre.

Par exemple, le bras droit de Robert Bourassa, Benoît Morin était informé la veille du projet de nomination par Jacques Chamberland, à l'époque sous-ministre à la Justice -les deux mandarins sont juges aujourd'hui. Sous Daniel Johnson, l'ex-ministre Roger Lefebvre a déjà dit à La Presse que la nomination des magistrats était sa compétence exclusive et qu'il déposait le nom du candidat séance tenante au conseil. La formule était la même sous les successeurs péquistes, d'expliquer à La Presse des conseillers du premier cercle à l'époque.

Une exception

Rare exception; quand Lorraine Laporte, épouse de Bernard Landry aujourd'hui décédée, avait été nommée à la Cour criminelle en mars 1995, le premier ministre Jacques Parizeau avait été prévenu à l'avance. Le premier fonctionnaire, Louis Bernard s'en était entretenu avec le cabinet du premier ministre à cause des risques de controverse, de confier une personne au centre de ces discussions.

Mais de Robert Bourassa à Bernard Landry, jamais le premier ministre n'avait, comme Jean Charest, accès à la liste des candidats approuvés par le comité indépendant qui doit, selon le règlement, faire sa recommandation au ministre de la Justice.

Le procureur de Marc Bellemare, Jean-François Bertrand lui a demandé si ce mode fonctionnement était différent de celui adopté par ses prédécesseurs, M. Charest a reconnu hier ne pas en être certain. «Je présume que cela se faisait comme ça aussi, c'est la façon de le faire. Quand on y pense, c'est le gouvernement qui nomme les juges. C'est normal que le premier ministre en fasse partie.»

Pour Me Bertrand, la cause est entendue, le gouvernement Charest n'appliquait pas les règles qui prévoient que seul le ministre de la Justice doive avoir accès à la liste des candidats aptes à la magistrature.

Pour Jean Charest en revanche, le règlement prévoit uniquement le travail du comité indépendant. On y précise qu'il doit transmettre ses recommandations à la coordonnatrice à la sélection des juges qui les fait passer au chef de cabinet du ministre de la Justice. Rien n'empêche le chef du gouvernement d'en prendre connaissance, a-t-il fait valoir. La nomination d'un juge se fait sous recommandation du ministre de la Justice, mais reste une décision gouvernementale. Or le premier ministre est le chef du Conseil exécutif, de rappeler M. Charest.

«Tout n'est pas écrit. Cela fait partie de démarches du gouvernement, les noms de candidats, cela n'arrive pas par l'opération du saint Esprit.

«Le ministre de la Justice consulte le premier ministre», de résumer M. Charest. Les listes de noms «cela nous arrive avec des curriculum vitae. Le ministre de la Justice donne son avis, fournit une ou deux suggestions. Je donne mon avis et ça retourne au ministre de la Justice», a expliqué hier M. Charest.

Critique du PQ à l'accès à l'information, Me Bertrand Saint-Arnaud s'insurgeait hier. «On apprend que la liste circule... elle est vue par Chantal Landry, la responsable des nominations. C'est une perversion du système instauré, cela rend le processus de sélection perméable aux influences politiques», a-t-il lancé.