Lorsqu'il était ministre de la Justice, Marc Bellemare paraissait plutôt réceptif aux suggestions de candidats à des postes de juge. Trois élus ou sympathisants libéraux avec qui il a discuté de ses nominations n'ont pas eu l'impression qu'on lui avait forcé la main.

Dans un témoignage coloré commencé en fin de journée mardi, Charles Rondeau, collecteur de fonds depuis 35 ans au Parti libéral du Québec, a reconnu avoir suggéré le nom d'un vieux camarade de collège, Michel Simard, pour le poste de juge en chef de la Cour du Québec.

C'est le juge Simard qui le lui avait demandé - les deux hommes avaient des relations très épisodiques, ils ne se sont d'ailleurs pas revus depuis 2003.

Au cours d'une activité politique à Québec à la fin du mois de juillet 203, seul à seul, Charles Rondeau a dit au ministre Bellemare: «Si tu te cherches un juge en chef et que tu ne trouves personne à ton goût, Michel Simard ferait le meilleur juge en chef.» Le ministre Bellemare «n'a pas eu de réaction» sur le coup. Mais, quelques jours plus tard, Charles Rondeau a reçu un coup de fil du ministre de la Justice.

«Je ne peux pas nommer Simard juge en chef, j'ai un autre candidat», a expliqué Me Bellemare. Charles Rondeau n'était en rien contrarié - ils n'étaient «pas pires amis» -, jusqu'à ce que Bellemare lui propose une autre solution. «Je pourrais peut-être le nommer juge en chef adjoint !» Michel Simard obtiendra cette promotion quelques semaines plus tard.

Passage remarqué, Franco Fava est arrivé en après-midi dans la salle d'audience, déplaçant une nuée de caméras. Il est venu entendre le témoignage de son ami de longue date. Le témoignage de l'ancien sous-ministre Georges Lalande avait pris des allures d'interrogatoire en matinée. L'avocat du premier ministre Jean Charest, André Ryan, a voulu vérifier avec insistance si Mes Bellemare et Lalande avaient préparé ensemble leurs témoignages - plusieurs expressions de Me Bellemare pour décrire les interventions indues de Franco Fava se trouvaient dans les notes prises à l'époque par Me Lalande. Ce dernier a rappelé que Franco Fava n'approuvait guère le projet de réforme des tribunaux administratifs; les commissaires nommés pour cinq ans devenaient nommés à vie, ce qui réduisait considérablement le nombre de nominations pour le gouvernement.

D'une candeur mesurée, Charles Rondeau a fait sourire plus d'une fois l'assistance. Clairement surpris que le registre des entrées du cabinet de Jean Charest ait noté 19 visites en six mois, il a décrit le climat de fébrilité de ses rencontres avec Chantal Landry, responsable des nominations pour le nouveau gouvernement libéral. Il allait au bureau chaque semaine et parfois pour six heures de réunion.

«Il y a un paquet de nominations à faire. Mme Landry ne peut pas passer les journées à se creuser la tête. Elle demandait de trouver des noms pour telle ou telle place. On lui en donnait et elle faisait des enquêtes, faisait des analyses. À Québec, je connais beaucoup de monde», a expliqué le collecteur de fonds libéral. Ces choix étaient souvent des casse-tête: «Dans telle société, on avait besoin de quatre administrateurs. M. Charest avait dit autant de femmes que d'hommes, il y avait les allophones, les ci, les ça... C'est de l'ouvrage, trouver autant de monde», a raconté M. Rondeau. Jean Charest ne participait pas à ces réunions et, surtout, a souligné M. Rondeau, jamais la nomination d'un juge n'y a été abordée. Charles Rondeau ne se souvient pas davantage d'avoir vu Franco Fava au cabinet de M. Charest.

Plus tôt, le ministre délégué aux Transports, Norm MacMillan, a expliqué sans détour qu'il était aussi intervenu auprès de Me Bellemare pour la nomination de Marc Bisson, fils d'un des ses organisateurs de longue date, Guy Bisson, procureur de la Couronne avantageusement connu en Outaouais.

L'organisateur lui avait demandé un coup de main. Plus tard, le ministre MacMillan a dîné sur le pouce au parlement avec l'avocat candidat, qui lui a aussi demandé s'il pouvait intervenir. Quelques minutes plus tard, MacMillan a croisé par hasard son collègue Marc Bellemare. Ce dernier s'est enquis de son expérience en matière criminelle, puis subitement, il lui a demandé s'il était prêt à déménager.

Dans sa déposition de la fin du mois d'août, Me Bellemare avait dit qu'il s'opposait à ce que les juges viennent d'un autre district judiciaire par souci de ne pas froisser le barreau local.

Trois semaines plus tard, Marc Bellemare, à l'entrée du bureau du Conseil des ministres, a montré à MacMillan le certificat qu'il s'apprêtait à signer pour valider la nomination de Marc Bisson au district de Longueuil. «Il avait l'air aussi heureux que moi...» a dit M. MacMillan. «J'ai aidé dans le sens de mon rôle de député, si cela a aidé dans la décision, c'est que j'ai fait ma job», a-t-il résumé. À chaque concours à la magistrature dans l'Outaouais, le député de Papineau recevait des coups de fil d'avocats intéressés à être choisis pour le poste. Ces démarches ne trouvaient pas d'écho: «Je ne les connaissais pas. Je connaissais Marc Bisson, il était aimé dans la région», a expliqué le ministre.

Un autre témoignage

Ex-ministre du Travail, Michel Després a soutenu de son côté qu'il n'était pas intervenu directement en faveur de la femme de son cousin, Me Line Gosselin Després, qui aspirait à être nommée à la Chambre de la jeunesse de la Cour du Québec. Michel Després n'avait pas de contacts fréquents avec ce cousin et il a dit tout ignorer des convictions politiques de sa femme. Son cousin lui avait appris, en octobre 2003, qu'elle se porterait candidate à un concours, et il l'a rappelée après l'entrevue, en février 2004.

Selon Michel Després, il voulait uniquement savoir si le gouvernement allait rapidement prendre sa décision. À la première occasion, Després en a touché un mot à son collègue de la Justice.

Sans même qu'un nom soit dit, Me Bellemare a indiqué qu'il savait qu'une des candidates avait un lien de parenté avec lui. «Il m'a dit que c'était la recommandation de la magistrature (du juge qui siège au comité de sélection). Je n'ai pas demandé d'autres détails, il m'en avait donné plus que j'en demandais», a dit Michel Després.

L'ex-ministre du Travail est aussi catégorique. Responsable d'une longue série de nominations à des organismes quasi judiciaires, il n'a jamais eu de suggestion de Franco Fava en faveur de candidats particuliers.