Malmené toute la semaine par les témoignages de ses anciens collaborateurs et de hauts fonctionnaires de la Justice, Marc Bellemare a décidé de lancer un pavé dans la mare. La commission Bastarache est clairement devenue «un cirque pitoyable», et le commissaire, ancien magistrat de la Cour suprême, fait preuve de «complaisance» à l'endroit de ses détracteurs.

À son arrivée aux audiences, jeudi matin, le ministre Bellemare a désavoué tout l'exercice destiné à faire la lumière sur ses allégations quant au trafic d'influence dans la nomination des juges. Contredit par les témoins depuis quelques jours, il a signifié son dépit. Son procureur, la veille, s'était stratégiquement retiré des discussions visant à renouveler l'engagement des parties à ne pas commenter publiquement les travaux en cours.

«Les derniers jours ont été éprouvants pour moi et ma famille, a insisté l'ex-ministre. Ils l'ont été aussi pour des dizaines de milliers de Québécois, qui suivent les travaux de cette commission, qui se demandent à quoi rime ce cirque pitoyable financé à coups de millions à même leurs impôts.» «Leur confiance en nos institutions judiciaires en est d'autant diminuée», a martelé M. Bellemare avant d'aller s'expliquer sur les notes qu'il a prises le soir de sa démission, en avril 2004.

Il a senti le besoin de rappeler sa confiance vis-à-vis du système judiciaire québécois: «Il n'est pas parfait, mais certainement meilleur que le spectacle désolant qui se déroule devant nous.»

Pendant l'été, déjà, Marc Bellemare avait soulevé ses doutes sur l'exercice, «un piège à cons», avait-il dit. «Les événements des derniers jours m'ont hélas donné raison. De toute évidence, les procureurs de la Commission et les trois avocats du premier ministre ont bien peu d'intérêt à rechercher la vérité sur les influences indues des collecteurs de fonds du Parti libéral du Québec dans le processus de nomination des juges. Depuis trois semaines, ils se sont employés à détruire ma réputation de toutes les façons possibles en multipliant les attaques sous l'oeil complaisant du commissaire. Le tort qu'ils m'ont causé est irréparable!»

Témoignages

Plus tard, Violette Trépanier et Marcel Leblanc, deux responsables du financement au PLQ, ont témoigné que jamais Franco Fava ou Charles Rondeau ne leur avaient parlé de nominations de juges. Avec leur équipe d'une dizaine de personnes, MM. Fava et Rondeau ont contribué à environ 40% des entrées aux cocktails du premier ministre Charest. Cette activité avait permis d'amasser 360 000$ en 2003 et 224 000$ en 2002. Selon Marcel Leblanc, les deux hommes d'affaires sont «des mentors» à cause de leurs relations. Il les voyait fréquemment, mais ne se souvient pas qu'ils aient fait des représentations pour la nomination de juges.

M. Leblanc, qui décrit le PLQ comme «une famille», explique aussi que, à cinq ou six reprises entre 2003 et 2010, il a reçu des candidatures d'avocats en région qui espéraient être nommés juges. Les CV étaient relayés au cabinet du ministre de la Justice ou chez Chantal Landry, qui s'occupe des nominations au bureau de M. Charest. Il ne faisait jamais le suivi de ce qu'il advenait de ces candidatures.

Impatience

Quand Marc Bellemare a pris place devant le commissaire Bastarache, la pression a monté. L'ex-ministre a fait preuve d'impatience quand le procureur en chef, Giuseppe Battista, a longuement insisté pour connaître la séquence dans laquelle l'ex-ministre avait pris des notes sur son mandat, le soir de sa démission.

Ces notes, prises au dos d'une tablette à écrire, sont la seule pièce documentaire qu'ait produite Me Bellemare au soutien de ses accusations quant à l'intervention des bailleurs de fonds du PLQ dans la nomination de juges.

De la quarantaine de lignes qui y sont écrites, trois ont été tracées avec un stylo différent. C'est dans ces seules lignes que M. Bellemare a évoqué Franco Fava, Charles Rondeau et la Cour du Québec.

Devant l'insistance de Me Battista, M. Bellemare a répondu sèchement. «Je suis catégorique: ça été fait entre le 27 avril et le 2 mai à minuit. Je n'ai rien ajouté après être revenu au bureau (le 3 mai)», a-t-il tranché. Il est «possible» qu'il ait utilisé plusieurs stylos, a-t-il reconnu.

Le procureur de Me Bellemare, Rénald Beaudry, a reproché aux procureurs de la Commission leur «acharnement»: «On lui repose constamment la même question, debout, assis, à genoux, par en arrière... la réponse est la même! Même si un extraterrestre débarquait, il ne changerait pas sa version.»

Plusieurs témoins à venir

Après un mois d'audiences, la Commission n'a pas entendu la moitié des témoins prévus. Ce sera un marathon la semaine prochaine: on compte entendre neuf témoins, dont Franco Fava, Charles Rondeau et Jean Charest.

La semaine débutera avec George Lalande, celui que Me Bellemare voulait nommer sous-ministre avant que le bureau de M. Charest ne lui impose Louis Dionne. L'organisateur libéral Guy Bisson, père de Me Marc Bisson, nommé juge à Longueuil, sera aussi appelé à la barre. Le ministre Norm MacMillan sera aussi invité pour expliquer les démarches qu'il avait faites en faveur de ce dernier. Michel Després viendra dire s'il a poussé pour une parente, Line Gosselin-Després, nommée à la Chambre de la jeunesse. Chantal Landry, responsable des nominations, ainsi que Stéphane Bertrand, ancien chef de cabinet de M. Charest, viendront donner leur version.