Les avocats de Jean Charest et du gouvernement du Québec s'en sont pris mardi à la crédibilité de l'ancien ministre Marc Bellemare. Détails oubliés, faits manquants, erreur sur le moment d'événements importants, les procureurs André Ryan et Suzanne Côté ont mis en relief de nouvelles failles dans la version de l'ancien ministre.

Mais la stratégie employée et le ton des interventions ont clairement déplu au commissaire Michel Bastarache. Parfois avec impatience, il a exigé des procureurs qu'ils réorientent leurs questions, qui souvent s'éloignaient du coeur de l'enquête - la nomination des magistrats québécois.

«Vous avez l'occasion de corriger votre témoignage antérieur» a maintes fois répété Me André Ryan, qui représente le premier ministre Jean Charest. Imprécisions sur le lieu d'une réunion de militants au lendemain des élections (moment du premier échange entre Me Bellemare et le financier Franco Fava), oubli d'une réunion où il avait discuté avec le premier ministre à l'été 2003, quelques certitudes des deux premiers jours du témoignage de Me Bellemare sont subitement devenues plus vagues.

Me Ryan voulait manifestement mettre la table pour des témoignages à venir dont il connaît déjà la teneur, notamment ceux des collaborateurs de l'ancien ministre. Mais quelques grenades ont explosé dans ses mains. Rénald Beaudry, l'avocat de Marc Bellemare, a bondi quand Me Ryan, fils du regretté Claude Ryan, a voulu parler de la fille du ministre Bellemare, Lise-Anne, danseuse érotique à l'époque. Trois jours après avoir été nommé ministre, Me Bellemare avait offert sa démission à Jean Charest pour lui éviter tout embarras à ce sujet. Le premier ministre l'avait refusée. «Cheap shot!» a tonné Me Beaudry - une évaluation qu'a approuvée, avec plus de modération, le commissaire Bastarache.

Me Ryan a aussi eu un moment difficile quand il a demandé à Me Bellemare de commenter un article publié par le Journal de Québec le matin même. Lorsque le témoin a voulu voir le texte, il a dû admettre qu'il ne l'avait pas en main!

Embarrassé

Marc Bellemare a semblé plus embarrassé quand il a soutenu que jamais il n'avait précisé de noms lors des entrevues qu'il avait accordées à la mi-avril à trois médias sur les influences politiques dans le choix des magistrats. Le reporter du Journal de Montréal a écrit samedi que «selon (ses) notes d'entrevue», Me Bellemare avait plusieurs fois dénoncé les pressions indues de Franco Fava.

Mardi, l'ex-ministre a nié avoir brisé le secret ministériel et soutenu qu'il n'avait pas d'objection à ce qu'on appelle à la barre le journaliste pour qu'il produise ses notes ou son enregistrement.

Clairement ennuyé, le commissaire Bastarache n'a pas voulu s'avancer sur ce terrain. «Je n'ai pas à trancher pour savoir s'il a brisé ou non son serment d'office. Cela ne nous avance pas beaucoup de savoir si, pour lui, c'est conforme ou pas au serment.»

Marc Bellemare y est allé de quelques déclarations susceptibles de faire les manchettes. Il a soutenu que Chantal Landry, responsable des nominations, «s'assure systématiquement de l'allégeance de tous les gens qui demandent des emplois au gouvernement libéral».

Surpris

À propos de Jean Charest, Marc Bellemare avoue qu'il a été surpris quand il a constaté que «la Justice ne l'intéresse pas». Le jour même de sa démission, le 27 avril 2003, le premier ministre lui a demandé de lui rappeler sur quoi portait le projet de loi 35 (la réforme des tribunaux administratifs), précisément la raison qui lui a fait claquer la porte.

Procureure du gouvernement, Me Suzanne Côté a elle aussi eu maille à partir avec le commissaire. À la fin de l'interrogatoire, elle a demandé à Marc Bellemare s'il avait «troqué» ses responsabilités de ministre dans le but d'obtenir les réformes qui lui tenaient à coeur. Le commissaire Bastarache l'a rabrouée: «Vous ne posez pas une question de fait... Il faut reformuler la question, pas demander s'il se sentait coupable.»

Souvent incisive, Me Côté a eu du fil à retordre également avec l'avocat de Marc Bellemare, Me Beaudry, qui l'a même prise à partie. «Elle représente le gouvernement, donc les citoyens du Québec. Elle n'a pas à avoir de parti pris, elle est là pour éclairer la Commission», a protesté Me Beaudry.