La journée a été difficile, lundi, pour l'ancien ministre Marc Bellemare, qui faisait face au contre-interrogatoire de Me Suzanne Côté, procureure du gouvernement du Québec devant la commission présidée par l'ex-juge Michel Bastarache.

Comme l'avait fait en matinée le procureur en chef Giuseppe Batista, Me Côté a relevé que le ministre Bellemare semble avoir fait bien peu de cas des ordres explicites qu'il soutient avoir reçus de Jean Charest le 2 septembre.

Deux mois après que Jean Charest lui eut «ordonné» de choisir Marc Bisson comme juge, l'ex-ministre Marc Bellemare n'avait toujours pas procédé à la nomination. Plus encore, son ministère a fait évaluer les antécédents judiciaires de trois autres candidats à ce poste.

Incisive, Me Côté a relevé qu'il est étrange que le Ministère ait fait vérifier en octobre et novembre 2003 l'admissibilité d'au moins trois autres candidats avant de se pencher sur celui que «Dieu» (Jean Charest) lui avait ordonné de nommer le 2 septembre.

Calme durant l'essentiel de son témoignage, Marc Bellemare a paru plus impatient en fin de journée. Son avocat, Rénald Beaudry, est intervenu à plusieurs reprises - souvent en vain - pour que le président Bastarache rappelle Me Côté à l'ordre.

Me Bellemare avait aussi soutenu que les collecteurs libéraux Franco Fava et Charles Rondeau avaient fait pression pour que le juge Michel Simard soit promu juge en chef adjoint à la Cour du Québec. Or, il appert que, dès le 3 juillet 2003, Marc Bellemare avait inscrit le nom du juge Simard dans une liste de six candidats possibles au poste, plus important encore, de juge en chef.

Trois candidats

À la lecture des notes manuscrites de Me Nicole Breton, alors fonctionnaire responsable de la nomination des magistrats au ministère de la Justice, on constate que, dans un premier temps, le nom de Marc Bisson, fils d'un organisateur libéral de l'Outaouais, n'avait pas été soumis pour le poste de juge de la Chambre criminelle de Longueuil, où il a finalement été nommé à la fin novembre.

Dans une note du 13 octobre 2003, on constate qu'un candidat a été «reconnu coupable» (pour assurer la confidentialité des renseignements, les détails du dossier sont caviardés dans les pièces rendues publiques).

Le 3 novembre, le ministère de la Justice a demandé à la Sûreté du Québec de vérifier les antécédents judiciaires de deux autres candidats, dont l'un n'a pas passé le test. Ce n'est que le 7 novembre que la fonctionnaire mentionne le candidat Bisson pour la première fois, quand elle reçoit le feu vert de la SQ sur ses antécédents judiciaires.

Pour Me Bellemare, la première vérification judiciaire ne visait pas un véritable «candidat» choisi par un comité de sélection; il s'agissait plutôt de scruter l'admissibilité éventuelle d'un avocat que pistonnait son ancien collègue aux Affaires municipales, Jean-Marc Fournier, nommé récemment à la Justice.

Curieusement, les notes n'indiquent pas quand la SQ a commencé à enquêter sur le candidat Bisson. Selon l'ex-ministre Bellemare, c'était bien avant le rapport du 7 novembre. Mais Me Côté estime que le temps qu'a mis la police à vérifier les autres dossiers porte à croire que quelques jours, tout au plus, suffisaient.

Une question est restée sans réponse: pourquoi, après avoir désigné un candidat admissible le 3 novembre, le ministre de la Justice ne l'a-t-il pas nommé rapidement? On a plutôt fait une autre vérification sur Me Bisson, et on l'a nommé à Longueuil même s'il était de Hull.

Me Bisson avait été jugé «apte» à siéger comme juge par un comité mis en place sous le gouvernement péquiste par le ministre Normand Jutras. Il n'avait pas été retenu pour Hull, mais il restait depuis 2002 dans une banque de candidats admissibles.

Pressions

Autres faits qui ont donné du fil à retordre à Me Bellemare, lundi: durant tout l'automne, l'ex-juge en chef Huguette St-Louis et la bâtonnière de Longueuil, Sylvie Harvey, lui avaient demandé de nommer rapidement quelqu'un au poste vacant à Longueuil.

Me Harvey n'avait pas demandé qu'un avocat de ce district judiciaire y soit nommé, alors que l'ex-ministre Bellemare a soutenu y voir une raison de ne pas choisir Me Bisson, qui venait de l'Outaouais.

En dépit de ces démarches, Marc Bellemare n'a pas pressé le pas et profité de l'occasion pour nommer le candidat qui, selon son témoignage «était déjà choisi depuis le 2 septembre».

Dès le 2 septembre, a soutenu Me Bellemare lundi, le processus pour nommer Marc Bisson était déjà amorcé. Or, a relevé Me Côté, 10 jours plus tard, le sous-ministre de la Justice Michel Bouchard a expliqué dans une lettre à une collègue que le ministre lui avait demandé «une analyse plus spécifique des besoins à la Chambre criminelle de Longueuil». Selon Marc Bellemare, ces demandes avaient été faites à son mandarin deux mois plus tôt.

Attaqué par Me Côté, Marc Bellemare a soutenu ne pas avoir transgressé son serment de confidentialité dans les entrevues accordées à trois médias en avril dernier, même si le journaliste du Journal de Montréal a soutenu samedi avoir retrouvé les noms dans ses notes d'entrevue.

Marc Bellemare a fait amende honorable et reconnu que, en août 2003, Norman MacMillan, alors whip du gouvernement, n'avait pu le prévenir que le père de Marc Bisson risquait d'avoir des problèmes avec la commission Gomery. La commission allait être formée six mois plus tard. Son collègue l'aurait plutôt alerté de problèmes liés au scandale des commandites.

Par ailleurs, il a soutenu n'avoir aucun souvenir d'une réunion stratégique de son éphémère parti municipal, Vision Québec, à laquelle Franco Fava aurait assisté pour discuter de financement. «Je n'ai d'aucune façon fait appel à M. Fava pour la campagne de 2005 ou de 2007. Je ne pense pas non plus qu'il ait amené des contributions de quelque nature que ce soit.» Un avocat de Québec, Jean-Paul Boily, a pourtant dit avoir assisté à une rencontre en présence de M. Fava.