Le juge Michel Bastarache a rappelé à l'ordre jeudi Jean Charest à la suite de ses sorties publiques des derniers jours.

Pendant ce temps, le ministre de la Justice, Jean-Marc Fournier, s'en remet à l'enquête du Barreau du Québec sur l'intervention d'un employé politique du premier ministre en 2003 auprès du procureur général de l'époque, Marc Bellemare.

Depuis deux jours, le ministre Fournier évite de se prononcer sur l'à-propos de l'intervention de Me Denis Roy, nommé en 2004 président de la Commission des services juridiques, qui administre l'aide juridique.

«Le syndic du Barreau comme institution doit faire son travail. Mon travail, comme ministre de la Justice, est de m'assurer que ceux qui ont des charges d'enquête aient tout l'espace nécessaire pour faire leur travail», a-t-il dit.

La veille, cinq minutes avant que M. Roy fasse sa conférence de presse, le ministre Fournier avait déclaré aux journalistes qu'il voulait entendre ce que son employé allait dire avant de se prononcer.

Il a refusé de répondre quand on lui a demandé si, comme procureur général, il accepterait qu'un employé politique le «conseille» sur l'attitude à adopter vis-à-vis d'une cause criminelle. Devant la commission Bastarache, Marc Bellemare a soutenu que, en 2003, M. Roy, alors employé du cabinet de Jean Charest, lui avait demandé d'appuyer clairement et publiquement le procureur de la Couronne dans le superprocès des Hells Angels, Me André Vincent. Jeudi, Me Roy a soutenu qu'il s'était limité à conseiller le ministre Bellemare, mais le Barreau a jugé l'affaire assez préoccupante pour ouvrir une enquête le jour même.

Un ancien sous-ministre de la Justice, Georges Lalande, a corroboré en partie les révélations de M. Bellemare. Le trafic d'influence, a-t-il dit, «n'est pas une fiction».

Rappel à l'ordre

Jeudi matin, le premier ministre Charest a refusé d'ajouter aux commentaires qu'il avait déjà faits sur les allégations de Me Bellemare. À l'évidence fatigué, à l'entrée de la réunion des députés libéraux destinée à préparer la rentrée parlementaire, M. Charest a rappelé qu'il allait lui-même témoigner devant la Commission et a demandé d'attendre avant de tirer des conclusions des affirmations de Marc Bellemare.

Il estime qu'il n'a pas transgressé l'ordonnance du commissaire en commentant publiquement les révélations de Me Bellemare, mardi. Le commissaire Bastarache avait explicitement demandé aux gens susceptibles de témoigner devant lui d'éviter de commenter publiquement le contenu des audiences avant le dépôt de son rapport, prévu pour la mi-octobre. «Je me réserve le droit, si je pense que les circonstances l'exigent, d'intervenir. L'autre jour, j'ai dit des choses que j'avais déjà dites.»

En fin de journée, jeudi, le commissaire Bastarache a précisé qu'il n'avait pas interdit aux parties de faire des déclarations publiques, mais qu'il avait exprimé le «souhait pressant qu'ils restreignent leurs interventions publiques dans l'unique but de faciliter la bonne marche des travaux».

M. Charest, de son côté, a refusé catégoriquement de commenter les sondages selon lesquels la population croit Marc Bellemare plus que lui.

À l'entrée de la réunion, députés et ministres avaient manifestement reçu le mot d'ordre de minimiser les révélations de l'ancien ministre Bellemare. D'une seule voix, ils ont réaffirmé leur confiance à l'endroit de M. Charest, à qui ils ont accordé une longue ovation au début de la réunion.

«Il ne fait pas de doute que M. Bellemare est dans l'erreur, a dit l'ancien ministre David Whissell. La Commission ne fait que commencer. Il ne faut pas tirer de conclusions en ce moment, on verra plus tard. M. Charest a toute ma confiance et, entre lui et M. Bellemare, je sais qui est le plus crédible. Je sens que M. Bellemare commence à être beaucoup dans les contradictions.»

Pierre Moreau, avocat et député de Châteauguay, souligne: «Je ne me souviens pas de m'être formé une opinion après l'audition du premier témoin.» Selon lui, une règle de base existe en droit: Audi alteram partem - il faut entendre toutes les parties. «Il y a 40 témoins, on en a pour tout le mois de septembre et une partie d'octobre. Poser un jugement aujourd'hui est largement prématuré.»

Jeudi, la commission Bastarache a précisé son horaire de la semaine prochaine. Après Marc Bellemare lundi, on fera témoigner trois hauts fonctionnaires de la Justice qui touchaient à la sélection des juges en 2003: le coordonnateur Pierre Legendre, frère de l'ancien ministre péquiste Richard Legendre, qui avait eu maille à partir avec Marc Bellemare dès son arrivée à la Justice, ainsi que Nicole Breton et Andrée Giguère. Enfin, Mme Huguette Saint-Louis, juge en chef de la Cour du Québec de 1996 à 2003, sera également appelée à témoigner.