Remettre à plus tard le débat sur la laïcité en raison des attentats à Paris, «c'est donner raison aux intégristes», a soutenu Bernard Drainville en présentant une charte des valeurs «plus consensuelle».

Le député péquiste propose maintenant de soustraire les employés actuels de l'État à l'interdiction de porter des signes religieux. Autre changement majeur par rapport à la charte qu'il défendait bec et ongles sous le gouvernement Marois: cette interdiction ne s'appliquerait pas aux cégeps, aux universités et aux municipalités. «J'ai pris acte des critiques», a dit le candidat à la direction du Parti québécois, hier.

Avec sa charte 2.0, Bernard Drainville a l'intention d'incarner «la voix de la laïcité». «Malgré tout ce qu'on a pu dire, je persiste et signe!» a-t-il lancé.

Il a tenu sa conférence de presse une semaine après les attentats à Paris. Il s'est défendu de profiter de l'émoi provoqué par ces événements pour faire mousser sa proposition. «Je serais devant vous à la même date, le même jour, à la même heure avec la même proposition même s'il n'y avait pas eu les attentats de Paris», a-t-il plaidé. Il a rappelé qu'il s'était engagé avant les Fêtes à déposer une nouvelle version de sa charte des valeurs.

Mercredi, la ministre de la Justice, Stéphanie Vallée, a affirmé que ce n'est pas le moment de relancer le débat sur la laïcité comme veut le faire Bernard Drainville. Il ne faut pas «instrumentaliser les tragédies», a-t-elle dit. Elle a décidé de repousser le dépôt de son projet de loi sur la neutralité religieuse de l'État et la lutte contre l'intégrisme. Elle avait déjà retardé la présentation de sa pièce législative, initialement prévue à l'automne, en raison des attentats à Ottawa et à Saint-Jean-sur-Richelieu.

«Repousser à plus tard, c'est céder aux extrémistes et leur donner raison, a répliqué Bernard Drainville. Et je n'accepterai pas de leur donner raison sur quoi que ce soit.»

Selon lui, il y a urgence d'agir et le débat a assez duré. «Il ne faut pas avoir peur d'agir sur la laïcité, sur l'égalité hommes-femmes, les accommodements religieux parce qu'il y a eu des attentats terroristes, a-t-il ajouté. Il ne faut pas céder devant les extrémistes. Il ne faut pas s'empêcher d'avoir des débats démocratiques. C'est ça qu'ils veulent, ne pas entendre parler de la laïcité.»

Des compromis

Bernard Drainville a ajouté à sa charte des mesures qu'avait proposées l'ex-députée libérale Fatima Houda-Pepin. Il s'agit entre autres de la création d'un observatoire de recherche-action sur l'intégrisme religieux et les crimes d'honneur - comme les mariages forcés. Il propose également la création d'une ligne 1-800 sur les crimes d'honneur.

Bernard Drainville soutient que la deuxième mouture de sa charte reprend les principes de la première et prévoit quelques «compromis». Il s'agit entre autres de la «clause grand-père», qui préserverait le droit des employés actuels de l'État de porter des signes religieux. On éviterait ainsi les congédiements. Seuls les futurs employés ne pourraient en porter.

Il ne croit pas que sa charte des valeurs explique en partie la débâcle électorale du Parti québécois aux élections générales d'avril dernier. Ses compromis visent à «baisser le niveau d'opposition» à la charte et à «élargir le consensus».

Or sa charte 2.0 ne fait pas consensus au sein même de son parti. Deux adversaires dans la course à la direction du PQ se montrent ouvertement en désaccord. Jean-François Lisée veut limiter aux agents coercitifs de l'État - juges, policiers et gardiens de prison - l'interdiction de porter des signes religieux. Alexandre Cloutier rejette la «clause grand-père» et veut qu'en plus des agents coercitifs, les enseignants ne puissent porter de signes religieux. Pierre Karl Péladeau a refusé de faire des commentaires.