Avis juridiques ou pas, formels ou non, Bernard Drainville se dit fier de son projet de charte de la laïcité. «L'avenir va nous donner raison», affirme-t-il.

«Je suis très fier d'avoir porté ce projet. On a fait avancer les idées importantes, l'égalité hommes-femmes, la neutralité religieuse, que les accommodements doivent être mieux encadrés. On a fait avancer le débat», a soutenu hier M. Drainville en entrevue, une semaine après que la sous-ministre de la Justice a écrit qu'en dépit des usages, le gouvernement Marois n'a jamais requis d'avis juridique formel sur le projet de loi 60.

«J'ai mené ce débat de façon rigoureuse et responsable. C'était un débat nécessaire et ça reste nécessaire aujourd'hui, et l'avenir va nous donner raison. Dans une société de plus en plus plurireligieuse comme la nôtre, ce qui est une grande richesse, il faut aussi que cette diversité s'appuie sur une fondation commune, et c'est ce que faisait la Charte», a précisé Bernard Drainville.

Le projet continue de figurer dans le programme du Parti québécois - y compris l'interdiction du port de signes religieux. Sur cette question spécifique, le ministère de la Justice avait été appelé à se prononcer, révèle Bernard Drainville.

«Il y avait un débat à la Justice et ils voyaient le risque [d'inconstitutionnalité], c'est un fait», reconnaît-il en entrevue.

Au passage, il demande une rétractation à l'universitaire Gérard Bouchard, qui a accusé M. Drainville dans une lettre publique d'avoir entraîné le gouvernement Marois dans la voie de «l'intolérance, de l'hypocrisie et de l'amateurisme». L'ex-ministre devrait démissionner de son poste de député, croit M. Bouchard. Drainville réplique avec circonspection: «Il parlait de faux avis, on voit qu'il y a de vrais avis. Va-t-il se rétracter?»

Avis formel inutile

Pourquoi le ministre Drainville n'a-t-il pas demandé d'avis formel du ministère de la Justice? La semaine dernière, la sous-ministre de la Justice a soutenu dans une lettre qu'un tel avis sur «la légalité et la constitutionnalité de l'ensemble des dispositions du projet de charte de la laïcité» n'avait jamais été demandé au Ministère. Or, «habituellement, un projet de cette nature fait l'objet d'une demande de produire un tel avis écrit».

«Parce que j'en étais venu à la conclusion que c'était constitutionnel. On avait la vue d'ensemble, on avait fait un ensemble de consultations, obtenu des avis, on avait échangé avec la Justice, on avait eu l'argumentaire juridique nécessaire pour conclure que la Charte était constitutionnelle», a souligné hier M. Drainville.

Il souligne avoir eu suffisamment «d'opinions, d'avis, des conseils juridiques». Il a rencontré pendant deux heures la juge de la Cour suprême à la retraite Claire L'Heureux-Dubé, qui était convaincue que la Charte passerait le test des tribunaux. Elle ne lui a pas donné d'avis écrit, «mais son argumentaire a une grande valeur» à ses yeux.

Ces explications ne trouvent toutefois pas grâce auprès de la ministre de la Justice. «C'est l'opinion de M. Drainville, l'avis de Mme L'Heureux-Dubé, c'est un témoignage en commission parlementaire. Pourquoi M. Drainville est allé à la pièce? Ce n'est pas comme cela que cela fonctionne. Pourquoi n'a-t-il pas demandé d'avis formel? Parce qu'il craignait que cela ne passe pas la rampe? Je pose la question!», a répliqué hier la ministre de la Justice, Stéphanie Vallée. «Quand un projet de loi d'importance est déposé, il y a toujours un avis demandé aux juristes de l'État, et cette étape-là n'a pas eu lieu», résume-t-elle.

«Si on fait l'ensemble des avis et conseils juridiques qu'on a obtenus, tous les aspects importants du projet de loi ont été soumis», a assuré M. Drainville de son côté. «Tu mets deux avocats dans une salle et tu sors avec trois avis juridiques. Comme politique, à un moment donné, tu tranches», a laissé tomber M. Drainville.

Un silence inexplicable

En matinée, l'ex-ministre Drainville s'était retrouvé sur le gril, carrément malmené pour son silence inexplicable depuis une semaine, dans une entrevue avec Paul Arcand au 98,5.

Le parrain de la Charte voulait mettre en relief le fait que la ministre de la Justice Stéphanie Vallée avait soutenu «qu'il n'y avait pas d'avis juridiques sur la Charte et qu'il semblait aujourd'hui qu'on en avait trouvé».

«Si on m'avait posé la question, j'aurais dit que j'avais des avis de M. Henri Brun et des opinions juridiques d'une dizaine de personnes», a souligné hier M. Drainville. Ce dernier avait pourtant refusé de répondre aux questions de La Presse le jour même de la publication de la lettre de la sous-ministre de la Justice, Nathalie Drouin. «On vous a demandé de commenter la semaine dernière, vous ne vouliez pas répondre!», a répliqué M. Arcand.

Pour l'animateur, la sortie subite du ministre, une semaine plus tard, a «l'air d'un scénario de film». «J'étais prêt à prendre les coups, mais quand les gens te traitent de menteur, tu dis à un moment donné: c'est assez!»